Black Nail Cabaret

Interview réalisée par Bertrand Hamonou

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English version of the interview

« Gods Verging On Sanity »

[Dependent]

Sortie le 8 mai 2020

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Fondé en 2008, Black Nail Cabaret était à l'origine composé d'Emese Arvai-Illés et de Sophia Tarr. Ce singulier duo féminin hongrois n'a eu de cesse d'affiner sa pop brillante sous vernis ultra noir au fil des albums et des labels successifs qui ont accueilli ses productions depuis 2015, après un premier disque autoproduit, "Emerald City", sorti en 2012. Aujourd'hui, Emese et son compagnon Kristian Arvai, producteur du groupe depuis toujours et qui a remplacé Shopia Tarr à partir du précédent album "Pseudopop", tournent avec Covenant, délaissent la confidentialité des débuts pour une exposition européenne majeure et sortent un cinquième album d'une perfection remarquable baptisé "Gods Verging on Sanity". Nous en avons profité pour faire le point avec Emese, la voix du groupe, sur sa carrière déjà riche en rebondissements, ravie de la reconnaissance grandissante dont bénéficie aujourd'hui son groupe.

Emese, la première fois que j'ai entendu ta voix, c’était sur l’album “Mine” d’Architect en 2013. Comment t'es-tu retrouvée à interpréter la moitié des titres de ce disque ?
Nous avions donné un concert avec Covenant et De/Vision à Budapest en 2011, et c'est là que Daniel Myer nous a vues pour la première fois. Après le concert, il m'a demandé si j’étais partante pour collaborer avec lui et j'ai immédiatement répondu oui.
Est-ce de cette manière que vous vous êtes retrouvés signés sur Basic Unit Productions pour les albums “Harry Me Marry Me Bury Me Bite Me” et “Dichromat” en 2015 et 2016 ?
Oui, en quelque sorte. Nous étions à l’affiche de l’Infest Festival de Bradford en Angleterre, je pense que c’était en 2014. Architect y jouait également et c’est là que Daniel m'a présentée à Dejan Samardzic de Haujobb, qui est aussi le responsable du label Basic Unit Productions. Nous avons parlé de musique, de Black Nail Cabaret, et il m'a demandé de lui envoyer nos nouveaux morceaux pour se faire une idée, et il s’est trouvé que c’était le genre de chose qui les intéressait.

Aujourd'hui, “Gods Verging on Sanity” sort sur le label Dependent Records, une institution en Europe. Comment est-ce arrivé ? J'imagine que le groupe est fier de cette signature ?
Absolument ! Nous avons quitté Basic Unit Productions avant la sortie de “Pseudopop”, notre précédent disque, afin de monter notre propre label pour voir comment les choses se passent à ce niveau-là. Ça a été une belle leçon ! Beaucoup d'amis musiciens nous ont gentiment conseillé de nous trouver un plus gros label en nous disant que c’était l'étape suivante et naturelle pour le groupe, que nous y serions mieux exposés, mais nous n’étions pas désespérément à l’affût non plus. Dejan et Martin Sane (de Fix8:Sëd8) ont suggéré le groupe à Stefan Herwig de Dependent, lequel m’avait vu interpréter un titre en compagnie de Haujobb au Wave Gothic Treffen en 2019. Il m'a ensuite contactée afin d’évoquer un deal avec le label.
Et puis il devait aussi y avoir cette tournée en compagnie de Covenant au printemps, laquelle a dû être repoussée à cause de la pandémie. Quand doit-elle reprendre ?
Nous espérions pouvoir jouer en juin, mais je ne suis pas tout à fait sûre que ça aura lieu non plus. Certaines dates sont repoussées à septembre et octobre, et il y plus de chances que ces concerts aient lieu à ce moment-là.

Je vois que Covenant joue en France à Lyon en novembre. Black Nail Cabaret sera aussi de la partie ? Peut-on espérer des shows chez nous en France ?
Nous ne devions jouer en première partie de Covenant que pour les dates en Allemagne, malheureusement. Nous n'avons jamais joué en France, nous espérons qu’une fois toute cette folle histoire de pandémie derrière nous, nous aurons l’opportunité de venir y jouer.

À propos de la situation globale, où vous êtes vous retrouvés confinés, et comment le vivez-vous ?
Nous résidons en ce moment même à Tatabanya, en Hongrie. Mon travail a des connexions à Londres, mais dès que la pandémie s’est déclarée, il m’est apparu impossible d’y retourner pour Dieu sait combien de temps, et ça me manque beaucoup! Néanmoins, je pense que nous sommes chanceux d’être ici : rien ne manque dans les magasins, nous n’avons jamais été à court de biens de première nécessité, nous pouvons sortir dans les rues sans que ce soit bondé, etc. C’est une petite ville comparée à Londres ou Budapest, et nous sommes tout près des montagnes.
« Nous sommes des Dieux, avec un anus. »
Revenons à l’album et son titre : les Dieux dont il s’agit sont en réalité les humains, non ? Comment frôlons-nous la raison d’après toi ?
Il existe une dualité avec laquelle nous luttons en permanence. Nous sommes des organismes existentiels, nous contemplons notre place dans le monde et en même temps, nous mangeons, nous dormons, nous déféquons et nous nous reproduisons tout à fait comme les autres animaux. Notre subconscient a du mal à digérer notre propre mortalité que nous combattons de différentes façons : grâce à l’art, grâce au pouvoir, en créant une famille, ou alors nous ne la combattons tout simplement pas du tout. L’exemple le plus drôle qui illustre tout cela se trouve probablement dans le livre “The Denial of Death” d’Ernest Becker (“Le Déni de la Mort”, 1973, prix Pulizer en 1974 -ndlr), dans lequel il cite un poème de Jonathan Swift. Il y décrit l’horreur d’un jeune homme déchiré par la contradiction entre son propre état amoureux et la conscience de la fonction excrémentielle de sa bien aimée. Les hommes n’apprécient pas nécessairement le fait que les femmes aussi font tous ces trucs déplaisants, parce que ça leur rappelle la nature même du corps de celle qu’ils aiment, et donc sa mortalité. Nous sommes des Dieux, avec un anus.

Quand je regarde le track-listing, j’y vois un parallèle chronologique avec l’histoire de l’humanité : la création de notre monde (“Black Lava”), ensuite l’apparition de la vie (“Spheres”), la phase religieuse (“My Causal God”, “Private Religion”), puis le progrès technologique (“Make a Run) ”, la perte du contrôle de celui-ci (“Maelstrom”) puis la régression (“Children at Play”). Vous aviez un plan, l’idée d’un concept album lorsque vous avez enregistré le disque ?
Wow, je n’avais pas du tout réalisé ce que tu me dis là ! L’ordre des chansons s’est plutôt établi en se basant sur la dynamique et le contenu de chacune d’entre elles. Le concept était de créer une collection de chansons qui seraient reliées ou connectées d’une certaine manière au même problème, la lutte entraînée par cette dualité que j’évoquais tout à l’heure.

Je trouve sincèrement que le son du groupe s’est étoffé sur ce cinquième album : je le trouve plus vaste, plus propre, plus pertinent d’une certaine façon. À quoi est-ce dû ?
Avec chaque album nous nous mettons cette pression qui consiste à créer quelque chose de nouveau, quelque chose qui évolue. Nous nous la mettons parce que nous nous lassons vite des trucs que nous avons faits précédemment et nous voulons aller dans d’autres directions. Peut-être que nous bouclerons la boucle un jour, mais pour l’instant il y a tellement d’influences partout, que ce soit la nouveauté musicale, les nouveaux équipements, que c’est facile d’essayer quelque chose de neuf que nous n’avons jamais fait.
« J’aime la pop innovante des 90s, c’est certainement l’une des influences qui m’affecte aujourd’hui encore. J’étais une teenager dans les années 90 alors cette époque m’a marquée à vie ! »
Et puis il y a aussi quelque chose dans les mélodies que je trouve très accrocheuses. L’album précédent s’appelait “Pseudopop”, et celui-ci aurait pu s’intituler “Pop” par comparaison. Chaque titre sonne comme un single potentiel qui serait sorti si nous vivions dans une autre décennie. Vous vous êtes dits “Voyons ce qui se passe si l’on raisonne en terme de singles” ?
Pas vraiment, non. Nous n’avons gardé que les chansons que nous ressentions comme étant les plus fortes, sans aucun titre de pur remplissage, et c’est d’ailleurs pour cette raison qu’il n’y a que neuf morceaux sur l’album. Je suis d’accord avec toi, il y a un côté pop que nous avons probablement toujours eu d’ailleurs. J’aime la pop innovante des 90s, c’est certainement l’une des influences qui m’affecte aujourd’hui encore. J’étais une teenager dans les années 90 alors cette époque m’a marquée à vie ! La révélation s’est faite avant “Pseudopop", nous avons réalisé que nous pouvions nous débarrasser des genres en faisant tout simplement ce que nous aimions vraiment, et peu importe que ça rentre dans la catégorie darkwave, la pop ou tout autre catégorie ; et je pense que c’est encore le cas aujourd’hui avec “Gods Verging on Sanity”.

La pochette est très forte avec ces fourmis qui ont défiguré ce visage pour y installer leur fourmilière. Honnêtement, je la trouve même terrifiante : quelle est l’histoire de sa conception et quelle est sa signification ?
L’idée originale était de souligner le caractère animal du corps humain, et de créer des hybrides entre humain et insecte. Richard Besenczi, notre photographe et le créateur de l’artwork est arrivé avec une ébauche de tête sans visage, recouverte de fourmis, ce qui n’est pas vraiment un hybride mais qui représente merveilleusement bien la dualité et la lutte, spécialement avec le trou qu’on a placé dans la version finale de la pochette. Je peux parfois ressentir ce trou lors de la contemplation soucieuse. Cette image s’est imposée comme la plus forte de toutes, et nous avons finalement décidé de l’utiliser.

L’an dernier vous avez enregistré des reprises surprenantes du “Voyage Voyage” de Desireless et du “Rent” des Pet Shop Boys, à la manière de celles que vous aviez faites de Rihanna, Rammstein, Britney Spears, Talk Talk, Depeche Mode il y a quelques années. C’est quelque chose que vous aimez faire lorsque vous êtes en studio ?
On le fait de moins en moins souvent. Nous avions l’habitude d’en faire bien plus quand nous n’avions pas assez de chansons à nous pour tenir le temps d’un concert, ou alors quand nous étions moins connus, c’était bien de jouer quelque chose que tout le monde connaissait dans le public. Aujourd’hui c’est plus pour s’amuser qu’autre chose. Les deux dernières dont tu parles furent créées spécialement pour la soirée Elektro Allstars en pré-ouverture du Wave Gothic Treffen il y a deux ans, où nous ne jouions que des reprises puisque c’est la règle pour tous les participants ce soir-là. D’ordinaire nous ne rejouons pas nos covers, mais ces deux-là ont bien plu au public tant et si bien que nous avons continué de les jouer et nous avons finalement décider de les enregistrer l’an dernier.

Tu chantes aussi sur le dernier single d’Attrition si je ne me trompe pas. On te contacte souvent pour des collaborations ? Comment celle-ci est-elle arrivée ?
Oui, on me contacte parfois pour des collaborations. En ce qui concerne Attrition, nous avions joué avec eux à Budapest il y a deux ans, et mon second EP solo qui s’appelle “Two” est sorti sur Two Gods Records, qui appartient à Martin Bowes. Il y en a encore quelques-unes à venir, j’espère qu’elles paraîtront avant la fin de cette année.

Quelles sont tes attentes et tes espoirs aussi bien personnels que pour le groupe pour les mois à venir ?
J’ai très envie d’explorer les possibilités offertes par les concerts en streaming, pourquoi pas pour jouer dans des endroits où il serait normalement impossible de jouer devant un public avec un système acoustique performant. À la place des gens, nous pourrions nous produire devant des constructions, des arbres, etc. Il se peut que nous en fassions au cours de l’été, nous y travaillons. C’est d’ailleurs probablement quelque chose que nous allons continuer d’explorer une fois que la crise pandémique se sera calmée. Malgré tout, nous sommes impatients de reprendre la route et les concerts devant le public : il n’y a rien de comparable à l’énergie d’un show devant une foule.

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