
ELECTRONIC BODY MOVIE
un film de Pietro Anton
Interview réalisée par Christophe Labussière
« Electronic Body Movie »
de Pietro Anton
Au cinéma Le Grand Action à Paris
Le samedi 10 octobre 2025 à 17h
La musique, notre musique, aussi confidentielle soit-elle, sort parfois des murs de notre salon ou de nos salles de concerts pour se glisser entre ceux des cinémas. C’est à chaque fois un évènement majeur de voir des histoires que l’on a connues, dont nous avons été d’une façon ou d’une autre acteur ou spectateur, prendre forme sur grand écran. Il y a eu "24 Hours Party People" de Michael Winterbottom qui nous relatait l’histoire de Manchester, l’Hacienda et du label Factory, "Why Versailles?" de Marc Collin qui s’intéressait à la French Touch, "Control" d’Anton Corbijn dans lequel on suivait Joy Division, "20 000 jours sur Terre" de Iain Forsyth et Jane Pollard qui s’intéressait à Nick Cave, Pulp avec "Pulp, a film about life, death & supermarkets", Depeche Mode avec "101" ou tout récemment "M" qui suit la dernière tournée du groupe, autant de moments intenses qui nous aident à la compréhension de choses que l’on pense pourtant connaitre et déjà comprendre, mais qui se vivent à chaque fois comme de magnifiques expériences nous donnant parfois un nouveau regard sur la scène ou les artistes concernés et nous faisant réaliser que cette musique "confidentielle" est en fait un pan bien plus important que nous le pensons parfois de l’Histoire de la musique.
Pietro Anton est un réalisateur italien installé depuis quinze ans à Berlin. Le garçon a grandi avec la musique électronique, l’Italo Disco, évidemment, mais aussi celle plus intense, plus mécanique, qui brutalise le corps et porte l’âme, celle qui le rend moite et puissant, cette Electronic Body Music née au tout début des années 80 en Europe dans les mains de Front 242, DAF ou Nitzer Ebb. Pietro a décidé de rencontrer ces acteurs, ces auteurs, ces génies qui l’ont fait naître, l’ont construite et l’ont portée à bout de bras avec les moyens du bord de l’époque, synthés, machines qui n’avaient pas de mémoire et qui perdaient tout ce qu’on leur avait appris une fois éteinte, des visionnaires sur une scène musicale jusqu’alors formatée et pas forcément prête à se faire secouer avec ces nouveaux sons et ces nouveaux codes, une scène très masculine dont l’esthétique devenait soudainement aussi importante que le son. Pietro à rencontré tous ces artistes, dont quelques disparus comme Gabi Delgado ou Douglas McCarthy -le film a commencé en 2019-, tous brillants, sublimes et magnifiques. Nous avons quant à nous eu envie de le rencontrer, lui.
Pietro Anton est un réalisateur italien installé depuis quinze ans à Berlin. Le garçon a grandi avec la musique électronique, l’Italo Disco, évidemment, mais aussi celle plus intense, plus mécanique, qui brutalise le corps et porte l’âme, celle qui le rend moite et puissant, cette Electronic Body Music née au tout début des années 80 en Europe dans les mains de Front 242, DAF ou Nitzer Ebb. Pietro a décidé de rencontrer ces acteurs, ces auteurs, ces génies qui l’ont fait naître, l’ont construite et l’ont portée à bout de bras avec les moyens du bord de l’époque, synthés, machines qui n’avaient pas de mémoire et qui perdaient tout ce qu’on leur avait appris une fois éteinte, des visionnaires sur une scène musicale jusqu’alors formatée et pas forcément prête à se faire secouer avec ces nouveaux sons et ces nouveaux codes, une scène très masculine dont l’esthétique devenait soudainement aussi importante que le son. Pietro à rencontré tous ces artistes, dont quelques disparus comme Gabi Delgado ou Douglas McCarthy -le film a commencé en 2019-, tous brillants, sublimes et magnifiques. Nous avons quant à nous eu envie de le rencontrer, lui.
Peux-tu te présenter brièvement ?
Je suis un réalisateur italien installé à Berlin depuis quinze ans. J’ai une formation en études cinématographiques et en production télévisuelle, et une grande passion pour la musique électronique, surtout celle des années 80.
Douglas McCarthy | Nitzer Ebb (photo Inge Bekkers)
Quand et comment t’est venue l’idée de faire un documentaire sur l’EBM ?
Après avoir terminé mon premier documentaire musical, "Italo Disco Legacy", j’ai été encouragé par l’intérêt qu’il a suscité dans le monde entier et j’ai décidé de faire un film sur l’Electronic Body Music, un autre genre influent des années 80 qui m’a toujours fasciné, et dont l’histoire, pour une raison ou une autre, n’avait encore jamais été racontée au cinéma.
« J’écoute de l’EBM depuis mon adolescence. Le premier disque dont je me souviens est "Showtime" de Nitzer Ebb. »
Musicalement parlant, l’EBM faisait-elle partie de ta culture personnelle ? Écoutais-tu déjà ce genre de musique à l’adolescence ?
Oui, j’écoute de l’EBM depuis mon adolescence. Le premier disque dont je me souviens est "Showtime" de Nitzer Ebb, puis DAF, Front 242 et tous les groupes que j’ai inclus dans mon documentaire. Rencontrer mes héros de jeunesse en chair et en os et les interviewer a été un rêve. Peut-être que j’ai lancé ce projet uniquement pour cette raison.
« On pourrait dire que l‘Italo Dico est un peu mon côté lumineux, tandis que l’EBM représente mon côté sombre en musique. »
Tu avais déjà réalisé un film sur l’Italo Disco, tu aimais ce genre toi-même ?
Chaque film musical que je fais traite d’un sujet que j’aime profondément, et l’Italo Disco ne fait pas exception. On pourrait dire que c’est un peu mon côté lumineux, tandis que l’EBM représente mon côté sombre en musique.
As-tu réalisé d’autres films ?
J’ai un autre projet en préparation, "Glowing in the Dark Again", qui racontera l’histoire du mouvement Minimal Synth, une autre de mes passions. Le film est actuellement en développement et devrait constituer la troisième partie de ma trilogie sur la musique électronique des années 80.
Quel a été le premier artiste que tu as contacté pour "Electronic Body Movie", la première interview que tu as réalisée ?
La toute première interview pour ce projet a été celle de Marc Ickx, du groupe A Split-Second, lorsqu’il est venu jouer à Berlin au festival Out Of Line en 2019. C’était un excellent début, car Marc m‘a raconté beaucoup d’histoires passionnantes sur le groupe et donné un éclairage remarquable sur la scène EBM, avec beaucoup d’humour et d’entrain.
En regardant le film, j’ai eu la chance de le voir à Bruxelles en janvier en marge des ultimes concerts de Front 242, je me suis posé une question. J’ai eu le sentiment qu’il "manquait" quelques personnes, ce n’est pas une critique, tes choix sont excellents (je ne suis pas le réalisateur, après tout !). Mais on ne retrouve pas d’artistes français de cette époque, mais plutôt des héritiers. Pourquoi avoir choisi ces artistes en particulier ?
Les artistes français Terence Fixmer et The Hacker sont une partie essentielle du film, car à travers leur travail de DJ et de producteurs à la fin des années 90, ils ont contribué à la survie de l’EBM, la faisant découvrir aux jeunes générations et la faisant reconnaître comme une influence majeure sur la scène techno.
Gabi Delgado-López | DAF
C’est surtout que je me demandais pourquoi il n’y avait pas de groupes Français de l’époque qui faisaient la même EBM que leurs aînés. En France nous avons eu Spina, What’s, Madame Bovary, et une dizaine de formations évidemment bien moins importantes que Front 242 ou DAF... tu vas me dire que c’est peut-être pour cette raison, parce qu’il n’y en avait pas "au départ" en France, d’aussi majeures.
Concernant les groupes français, honnêtement je ne connais pas vraiment ceux que tu as mentionnés, je me suis surtout concentré sur les pionniers du genre les plus reconnus.
Et si ces intervenants français sont présents dans le film parce qu’ils sont de ton point de vue des descendants, ils maintiennent vivante l’EBM, dans ce cas, pour toi, la perpétuation de l’EBM n’est qu’entre les mains des Français, il n’y a pas d’autres musiciens en Europe ou ailleurs qui perpétuent ce son ?
J’aurais adoré avoir David Carretta, qui était actif avec son projet EBM à la fin des années 80, mais je n’ai pas réussi à l’impliquer. Bien sûr, la survie de l’EBM dépend de nombreux facteurs et n’est pas uniquement une responsabilité française, mais Michel et surtout Terence ont joué un rôle déterminant pour transmettre le flambeau entre les générations, notamment grâce à leur lien avec la scène techno internationale. Aujourd’hui, il existe de nombreux jeunes artistes clairement influencés par l’EBM, comme Kris Baha, Phase Fatale, Pablo Bozzi, Rein et bien d’autres.
« J’ai vraiment eu l’impression d’être béni, comme si quelqu’un, là-haut, aimait tellement le projet qu’il m’avait envoyé un petit coup de pouce. »
TB Frank | The Neon Judgement
À Bruxelles, tu avais raconté une anecdote au sujet du cadreur, je crois. Quelqu’un s’est désisté ou est tombé malade au dernier moment, et tu as trouvé quelqu’un pour le remplacer, qui avait un lien inattendu avec l’EBM ou la musique, je ne me souviens plus très bien !
C’est exactement ça ! Quelques jours avant l’interview prévue avec Front 242 à Bruxelles, mon cadreur est tombé malade et m’a dit qu’il ne pourrait pas m’accompagner. J’étais un peu désespéré, car je ne savais pas si je pourrais trouver un remplaçant aussi vite, et je doutais que Front 242 puisse reprogrammer l’entretien bientôt, car ils étaient en pleine tournée. En urgence, j’ai cherché un cadreur basé à Bruxelles, j’ai noté quelques noms et envoyé des mails expliquant le projet. Sur cinq messages, j’ai eu deux réponses, dont une d’un cadreur très expérimenté, Daniel Demoustier, habitué des zones de guerre. Il m’a répondu qu’il connaissait bien Front 242 et qu’il avait lui-même été impliqué dans la scène EBM dans les années 80, ayant travaillé comme tour manager pour The Neon Judgement. Non seulement l’interview avec Front 242 a été sauvée, mais j’ai aussi eu la chance de rencontrer et filmer TB Frank de The Neon Judgement. J’ai vraiment eu l’impression d’être béni, comme si quelqu’un, là-haut, aimait tellement le projet qu’il m’avait envoyé un petit coup de pouce.
Ce film est à voir. Absolument. Que vous soyez de ceux qui se mettent à égrener "One, two, three" aux premières mesures de "Headhunter", qui commencent à transpirer en entendant "Join in the Chant", sont pris d‘un petit sourire crispé en reconnaissant "Der Mussolini", sentent leur corps commencer à onduler sur "Flesh", ou bien que vous soyez simplement néophyte ou curieux, vous trouverez ce film passionnant tant il parvient à démontrer à quel point cette musique aux atours virilistes était d‘une ingéniosité sans pareil, artistique, esthétique et musicale.
Beate Bartel | Liaisons Dangereuses
