Celluloide

Interview réalisée par Bertrand Hamonou

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« Futur Antérieur »

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Sortie le 24 janvier 2020

Cela fait dix-huit ans que Celluloide nous bombarde de bips et de bleeps savamment calés dans leurs chansons ultrapop. En six albums et plus du double de singles et maxis, le trio de Marseille s’est forgé un son et un univers graphique uniques et reconnaissables entre mille. L’Anglais des premiers disques a laissé sa place à l'emploi exclusif du Français depuis le quatrième album, "Hexagonal", dont le titre sonnait comme une déclaration d’intention assez maline. À l’occasion de la sortie fin janvier de leur tout nouveau disque "Futur Antérieur", nous nous sommes entretenus avec le mystérieux Member u-0176, compositeur, parolier et faiseur des sons du groupe, qui a accepté de nous révéler quelques-uns des secrets de fabrication de ces chansons qui nous accompagnent depuis bientôt deux décennies.

Lors de l'enregistrement de l'album l'an dernier, je me souviens d'un post sur le Facebook du groupe qui montrait une guitare et qui nous annonçait qu'elle s'était invitée pour l'écriture du disque. J'ai écouté "Futur Antérieur" mais je ne l'ai pas entendue.
Je peux te rassurer tout de suite là-dessus : il n'y a pas un gramme de guitare dans l'album.

C'était une blague alors ? Venant d'un groupe 100% électronique comme Celluloide, j'aurais dû m'en douter…
Du tout, ce n'était pas une blague, on l'utilise vraiment en tant qu'outil pour l'étape de composition, mais jamais pour celle de production. Elle nous permet de voir si le morceau se tient d'un point de vue "songwriting" pour employer le terme anglais. On aime bien l'idée de se dire qu'un bon morceau doit se tenir sans les arrangements, donc ça nous arrive de composer ou d'affiner les compositions en version guitare/voix juste pour voir si ça fonctionne.
S'il y a bien un groupe chez lequel je n'aurais jamais imaginé un processus pareil c'est bien Celluloide ! Et ensuite, comment ça se passe ?
Ensuite, les arrangements et la production vont tout changer tout au long du reste du processus. Pour tout te dire, ça évolue tellement qu'en général Léti ne chante pas sur les morceaux définitifs tels que tu les entends sur l'album final. Pour elle c'est aussi la surprise quand elle écoute les versions finalisées, très différentes de celles sur lesquelles elle a posé sa voix au départ. Même si Leti écrit le texte, ce qui est déjà arrivé, elle ne place jamais la voix parce que quand elle enregistre sa partie, tout est déjà complètement en place du point de vue mélodique. Bien évidemment, elle change ce qui ne lui plait pas, pour faire ce qu'elle sent mieux, mais elle se cale toujours autour d'une ligne déjà bien en place.

Comment faites-vous ça ?
D'une manière générale, lorsqu'on enregistre les voix, la production n'est pas encore faite. On l'enregistre sur une version démo qui contient déjà les harmonies, une boîte à rythmes, ainsi que les mélodies ou les séquences principales, mais avec des sons qui ne seront peut-être pas définitifs : c'est une version brouillon. Une fois que la voix est en place, on enregistre la production autour, puis on fait les voix secondaires et à la fin on ajuste le tout.

Il existerait donc un squelette guitare/voix pour chaque chanson de Celluloide à partir duquel vous commencez toujours ?
C'est plus compliqué que ça. Déjà, on est deux avec Patryck à faire la musique, donc il y a plusieurs configurations possibles. Par exemple, l'un de nous deux peut avoir un morceau tout prêt, ou alors on peut décider de partir de zéro ensemble. Et puis on peut aussi massacrer le morceau de l'autre pour en faire autre chose.

Donc ça ne commence pas forcément de manière acoustique ?
On peut commencer les morceaux de toutes les façons possibles, comme à la guitare/voix comme je te le disais tout à l'heure, mais ça nous arrive aussi de débuter directement sur les machines en ajustant plus tard les mélodies en guitare/voix afin de pouvoir se concentrer sur le "coeur pop" du morceau, le fameux "Naive Heart" de notre premier album. Nous n'enregistrons jamais ces "versions zéro" qui te surprendraient vraiment si tu pouvais les écouter. Pour nous c'est juste un moyen de tester les harmonies : ça va plus vite et c'est plus souple que de programmer des machines.

Chez Celluloide il y a toujours des jeux cachés dans la présentation même des disques, comme la position des chansons qui comportent un nombre dans leur titre. Cette fois c’est la numérotation qui propose un code à déchiffrer. Je me suis pris la tête à essayer de casser le code, et j’ai trouvé un algorithme qui fonctionne pour les titres pairs. Mais je bloque pour les impairs. Tu nous donnes un indice ?
Quoi de plus logique pour un groupe électronique que de compter les morceaux en binaire ?

À la première écoute du disque j'ai retenu "La Cité des Aveugles" comme single potentiel. Le titre a-t-il quelque chose à voir avec la véritable cité des aveugles qui date de l'ère soviétique près de Tbilissi en République de Géorgie ?
Non, ça n'a rien à voir parce que je ne connaissais pas cette cité du tout. Par contre c'est marrant que tu aies tout de suite remarqué "La Cité des Aveugles", parce que c'est le second single, ou tout au moins notre nouvelle vidéo.
« Je me demande si l’on ne devrait pas apposer un logo "Not Easy To Understand / Unexplixit Lyrics" sur la pochette du disque. »
C'est quand même une sacrée coïncidence. D'où te vient le titre alors ?
Tu sais, les textes de Celluloide ne sont pas toujours clairs. D’ailleurs je me demande si l’on ne devrait pas apposer un logo "Not Easy To Understand / Unexplixit Lyrics" sur la pochette du disque, sur le modèle du fameux logo "Parental Advisory / Explixit Lyrics" que tu connais certainement.

Je remarque que c'est l'une des nouvelles chansons qui donne son titre à l'album. Vous ne faisiez jamais ça avant "Art Plastique". C'est nouveau ?
Au début de Celluloide on s'était fixé des règles comme par exemple celle de ne jamais intituler un album du nom d'une chanson qui s'y trouve. Généralement on prenait un extrait de paroles d'un des morceaux qui devenait alors le titre du disque. Mais par esprit de contradiction, on a décidé de ne plus respecter nos propres règles avec "Art Plastique".

Et pour "Futur Antérieur" ?
Au départ la chanson "Futur Antérieur" ne devait pas se trouver sur l'album mais sur un EP à part. C'était une blague entre nous : mettre la chanson qui donne son titre à l'album uniquement sur l'EP qui l'accompagne. Mais le titre s'est finalement retrouvé sur l'album à la place de "Je Vis Encore", qui lui est passé sur l'EP, tout simplement parce que ça fonctionne mieux comme ça.

Et donc la blague du départ n'en est plus une...
Non, maintenant il n'y a plus de blague, et ce n'est même plus drôle. Voilà ce qui se passe quand on ne respecte pas les règles.

Vous suivez beaucoup de règles dans ce genre-là ?
Une autre de nos règles est de toujours proposer un instrumental sur un album de Celluloide, et celle-là nous nous y tenons pour le moment. Cette fois c'est avec "Modulation de Fréquence" sur lequel il y a plusieurs extraits d'émissions de radio FM qui parlent de Celluloide, et nous avons volontairement traité les voix pour avoir l'impression de les entendre comme si l'on était "à l’extérieur". 

Le single de "Quelque Chose S'Efface" propose un instrumental inédit, "Poème Cinétique". Sur l'album il y a une chanson avec un titre proche, "Poème Mécanique". Mais en fait les morceaux n'ont rien à voir.
En effet, les deux morceaux "Poème Cinétique" et "Poème Mécanique" n'ont rien en commun. Mais il y a quand même une raison au fait que leur titre est si proche. Au départ, j'avais commencé le texte qui partait dans deux directions : l'une que je trouvais "mécanique", et l'autre "cinétique". J'ai finalement décidé de faire deux textes distincts pour deux morceaux distincts, mais je n'ai jamais réussi à terminer celui de "Poème Cinétique" qui est donc resté instrumental.

Puisqu'on parle du single, ma version préférée de "Quelque Chose S'Efface" est le "Translucide Mix" que l'on retrouve sur l'EP "Modulation de Fréquence". C'est un remix façon "Twelve Inch Mix", à l'ancienne ?
Absolument. Les remixes de l'EP sont tous des remixes à l'ancienne, c'était notre idée de départ. D'ailleurs, j'espère que tu as remarqué que la version du single n'est pas la version de l'album : ça aussi c'est à l'ancienne.
« Nous n'avons pas réfléchi à ce que nous ferions si une proposition de concert se présentait à nous. »
La version vinyle de "Futur Antérieur" est vraiment très belle...
Merci. C'est toujours difficile de savoir à l'avance si ça va être réussi, mais on n'est pas déçu avec ce vinyle blanc qui est effectivement très beau.

À propos, la pochette est-elle aussi d’inspiration célèbre comme les précédents disques, ou s’agit-il d’une création originale ?
C'est encore une fois une adaptation, celle d'un tableau de Marlow Moss. Il n'y a que la pochette du single "Quelque Chose S'Efface" qui soit une création, mais elle est également basée sur l'esthétique de Marlow Moss, comme on l'explique sur notre site. Nous n'avons pas encore pris le temps de rédiger d'explication concernant la pochette de l'album, mais c'est prévu sur sur notre page dédiée au design de nos disques.

J'ai une dernière question : une tournée est-elle prévue pour promouvoir l'album ?
Non, nous n'avons pas prévu de tourner. En fait nous n'avons jamais réellement tourné, et nous avons arrêté les concerts après l'album "Passions & Excitements". Et pour tout te dire, nous n'avons pas réfléchi à ce que nous ferions si une proposition de concert se présentait à nous.