Nick Cave & the Bad Seeds

« Ghosteen »

[Ghosteen Ltd.]

Chronique rédigée par Yannick Blay

publiée le lundi 14 octobre 2019 à 22h17

sorti le vendredi 04 octobre 2019



Nick Cave est un des plus grands artistes rock que l’on ait connu à ce jour. Pour autant, ses différentes réincarnations depuis ses débuts dans Boys Next Door sont inégales. Après la sauvagerie de Birthday Party et le blues industriel cinglant et tourmenté des premiers Bad Seeds, Nick Cave a voulu affirmer, consciemment ou non, son amour pour Leonard Cohen, allant parfois même jusqu’à le singer. "The Boatman’s Call", "No More Shall We Part" ou "Nocturama furent, à ce titre, assez décevants. Mais depuis "Abattoir Blues" et l’aventure Grinderman, et grâce à Warren Ellis, Nick a retrouvé la grâce. "Skeleton Tree" et aujourd’hui "Ghosteen", sa suite logique, marquent encore un nouveau tournant dans la carrière de l’Australien exilé, les deux hommes renouant avec le fantôme de Leonard Cohen. Le drame épouvantable qui pèse sur les frêles épaules de Nick, le décès d’un de ses fils, s’entend, se ressent sur ces deux oeuvres. Un drame pour le pire, dans sa vie quotidienne, mais pour le meilleur dans son art. "No beauty without death", oserait-on dire ? Cette tristesse incommensurable qui dévorait la voix même de Cohen ronge également celle de Cave dans ses deux dernières œuvres. Rien de forcé, tout glisse tel un vaisseau fantôme errant sur les océans ou dans les cieux. Nick le Hollandais volant ?
Outre le Cohen des débuts, ces errances atrabilaires rappellent parfois le minimalisme écorché, inapaisé, sépulcral et neurasthénique de Nico en solo, c’est dire la profondeur abyssale de ce "Ghosteen" ! Mais la musique Warrenellisienne se fait ici plus spectrale et sert d’écrin ambient et épuré à la voix ici bien différente de celle du mannequin germanique et héroïnomane. Le timbre est toujours majoritairement grave mais de plus en plus varié, souvent squelettique et fantomatique, voire aérien comme jamais auparavant (sur le titre éponyme, notamment) ou carrément et très étonnamment haut perché (comme sur le final, "Hollywood", ou sur la fin du premier morceau, "Spinning Song").
Ce double album sonne comme une longue dérive, à la fois chargée d’une profonde affliction, mais aussi paradoxalement doté d’une beauté toute lumineuse. Un "ghosteen" hante manifestement les jours et les nuits du leader des Bad Seeds, mais celui-ci transforme ce drame en une ode flamboyante, brumeuse et tragique sans jamais verser dans le pathos. Tantôt en flots de nuit, tantôt en flots d’aurore, les chœurs féminins, ça et là, guident en toute discrétion et à claire-voix/e ce galion en direction d’un "noir chaos lumineux ", celui-là même qu’exprimait Victor Hugo dans ses chef-d’œuvres de littérature. Nick donne l’heureuse impression d’exorciser sa peine en se laissant glisser avec un certain abandon dans le gouffre radieux d’un monde parallèle comme pour offrir un flambeau neuf aux ténèbres. "Ghosteen" plonge l’auditeur dans la dualité des tréfonds de l’âme du chanteur, une dualité claire-obscure qui l’aide à se frayer un chemin vers l’expiation ou tout au moins vers un semblant de sérénité. Une œuvre émouvante de sincérité qui déplaira aux fans intransigeants de la période Mick Harvey/Blixa Bargeld mais qui devrait convaincre les amateurs de grands disques intimistes, graves et radieusement mélancoliques (comme ceux de Scott Walker ou Current 93) dont les mystères se découvrent petit à petit, nuit après nuit.


Ce qu'on a aimé
La voix très variée de Nick Cave qui monte même dans les aigus
Les chœurs féminins
Ce noir chaos lumineux
Ce qu'on n'a pas aimé
La pochette (quoique !)
L’état de délabrement et de désespoir après écoute
PLUS D'INFOS
ÉCOUTEZ
TRACKLISTING
1. Spinning Song
2. Bright Horses
3. Waiting for You
4. Night Raid
5. Sun Forest
6. Galleon Ship
7. Ghosteen Speaks
8. Leviathan
9. Ghosteen
10. Fireflies
11. Hollywood

DATES
Sorti le vendredi 04 octobre 2019
Chroniqué le 14 octobre 2019