Mirwais

« Taxi-Girl 1978-1981 »

[Éditions Séguier]

Chronique rédigée par Christophe Labussière

publiée le vendredi 19 avril 2024 à 10h44

sorti le jeudi 21 mars 2024



Exercice difficile que celui que vient d'entreprendre Mirwais onze ans après le décès de Daniel Darc et trente-huit après la séparation de Taxi Girl, s'attelant à enfin raconter l'histoire, ou plutôt, avec ce premier ouvrage d'une série supposée de trois, la genèse de ce groupe fondateur, essentiel, charnière. Un groupe ancré dans son temps, avec un son qui n'aurait certainement pas pu exister s’il était né un an avant et qui aurait été forcément différent quelques mois plus tard. Mais dans ce livre, ce n'est pas exactement l'histoire de Taxi Girl qui est importante, ce qui se trame, entre les lignes, c'est la coexistence de Mirwais avec cette histoire, le point de vue de ce jeune garçon de 17 ans qui en fut l'acteur, mais tout autant le spectateur. Il y a eu un avant, et un après Taxi Girl. Il ne faut pas en douter. Mirwais raconte le pendant, ces trois années de créa-destruc-tion. De vies. De morts. Mirwais rythme son livre d'anecdotes qui nous permettent d'entrevoir la dé-con-struction du groupe, avec des moments, majeurs, tous, forcément, ces glitchs de vie, ces microchaos qui font l’Art et tout autant la Vie. Il n'épargne personne, « Daniel Darc et son sourire sournois », mais en premier lieu ne s'épargne pas lui, ses mots sont sans concession, il raconte avec une précision étonnante son apparent détachement à cette histoire et aux autres, le justifiant par le fait qu'il avait très rapidement arrêté les drogues là où ses cothurnes s'y noyaient, racontant son envie, sans faille, son envie de "réussir" ce groupe, une envie qu'il espérait plus forte que l'échec qui pour lui était annoncé dès le début, refusant de s’y plier et de s'y résigner. Parce que Taxi Girl est, de son point de vue, un échec. Brillant. Magnifique. Sublime. Et il sait pourquoi. Il a vu ce groupe se construire. Il avait conscience qu'il se détruisait. Il le raconte, sans filtre, mais avec une bienveillance déroutante. Ses gifles, il en assène, beaucoup, sont douces, justifiées, compréhensibles, touchantes. Mirwais passe par moment pour ce premier de la classe, cet autiste impassible qui constate sans juger, qui sait sans dire.

Mirwais narre une époque que l'on n'a pas connue, trop « square » que nous sommes, celle de ces bagarres déclenchées, de ces soirées et concerts agités, celle du pré-post-punk à la Française, celle de nos grandes sœurs et grands frères, cette époque pas si éloignée de la nôtre, mais dont le tumulte nous a été épargné par nos années cold wave. D'aucuns trouveront peut-être sa version, sa vérité, revancharde, en ce qui me concerne j'ai plutôt ressenti un sentiment de sincérité, de tristesse et de gâchis. Et si l'on pourra trouver son positionnement prétentieux, Mirwais sait, savait, nous fait comprendre par le menu que si ça n’avait tenu qu'à lui tout se serait passé autrement, il se positionne invariablement d’une façon on ne peut plus humble, semblant n’être ni dans le regret ni dans le remords, manifestant « simplement » à longueur de page son envie, son besoin certainement, de prendre la parole sur ce groupe immense.

« Nous étions la matrice, le modèle. Nous n'étions pas dans le vent, mais le vent qui donnait la direction. Tellement de jeunes fiers grâce à nous. »

Le démarrage du livre est écrit dans le même style que celui qu’il avait initié avec son premier roman paru en 2022, "Les Tout-Puissants", et rappelle l'énergie des films de Gaspard Noé. On est en effet entraînés page après page dans un maelström de mots, de concepts, de sensations, de couleurs, bien que très vite le garçon normalise son écriture et l'on se retrouve à boire chacun de ses mots, précis, l'écriture est ciselée, un mix étourdissant entre cut-up, novlangue, argot et érudition, cohabitation parfaitement ordonnée offrant une palette de couleurs fascinantes au livre et à l’Histoire. Et c’est cette érudition qui le caractérise, Daniel Darc le définissait d’ailleurs ainsi, qui prend rapidement le pas. Des images naissent de chacun de ses mots, n'hésitant jamais à nommer les rues de Paris, Paris, P. A. R. I. S., s’appliquant à rendre concrète et « normale » cette histoire qui ne l’est pourtant pas, on les voit ces gamins, on les connaît, leurs lunettes d'aviateurs, leurs vestes en jeans sans manches. C'est ce qui est peut-être le plus bouleversant, ce sont des gosses.

Publier ce livre aujourd'hui est un timing parfait. Pour Mirwais certainement, pour nous sans nul doute. Parce que nous avons eu 17 ans. Parce que nous savons aujourd'hui ce que c'est d'avoir 17 ans. Ce livre est comme un film, et si du chaos émerge une tristesse, sombre, celle de Mirwais, celle de sa vision de l'histoire, il nous rappelle, pour qui en douterait, que cette tristesse est la fondation, ou le résultat, d’une réussite, brillante, sublime. Taxi Girl a existé. Et Mirwais a appartenu à ce groupe.


Ce qu'on a aimé
La fenêtre ouverte sur cette époque
Le ton sincère
Le style d'écriture, affuté
Découvrir la personnalité de Mirwais
Ce qu'on n'a pas aimé
Le style "cut-up" du démarrage qui aurait été compliqué s'il avait duré sur l'ensemble du livre
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DATES
Sorti le jeudi 21 mars 2024
Chroniqué le 19 avril 2024