Bruit Noir

« II/III »

[Ici d Ailleurs/Martingale]

Chronique rédigée par Christophe Labussière

publiée le lundi 18 février 2019 à 21h55

sorti le vendredi 01 février 2019



Il y a un problème avec Pascal Bouaziz. On connaissait le talent du jeune homme pour l'écriture et son affection pour les thèmes sociaux avec les chansons profondément humaines de Mendelson, sincères, lacrymales, comme le furent les beaux articles de Libé à la grande époque. Succession d'instantanés qui transportaient l'auditeur à l'orée de vies bouleversantes qu'il savait narrer avec précision. On l’a retrouvé plus tard sur le terrain du haïku où il s'aventurait avec un disque ("Haïkus") et un livre ("Passages" paru en 2016 aux éditions Le Mot et le Reste), se pliant aux règles strictes de l'exercice, livrant de brefs poèmes dans lesquels son trait si caractéristique restait prégnant. Il lance en parallèle Bruit Noir, et son premier album parait fin 2015, Pascal change alors son fusil d'épaule, il dézingue à tout va, la province ("La Province"), les compagnies low cost ("Low Cost"), le travail à la chaîne ("L'Usine") ou encore sa propre personne ("Requiem"). Il use alors toujours du même cynisme, mais cette fois-ci de façon plus tranchante, y glissant de l'insolence, égratignant même un brin Joy Division (disant à propos de Ian Curtis "Ce qui est vraiment triste c'est qu'il ait été entouré d'abrutis toute sa vie").

Aujourd'hui, avec ce second album, le cynisme flirte avec la manipulation. Le titre "Le Succès" qui ouvre le disque est une mise en abîme anxiogène qui d'entrée prend en otage l'auditeur. On y entend Pascal se plaindre ("Techniquement, le premier, je l'ai pas acheté alors qu'il était génial, alors le deuxième, je vais pas l'acheter non plus"), plaçant dès le début une chausse-trape culpabilisante que l'on ne peut éviter ("Encore un album pour que dalle, encore un album pour rien, encore un album pour ma chienne, encore un album pour mon chien", ou plus loin "20 ans de carrière, 20 ans de salaire de misère, 16 heures de camion aller et retour pour 40 minutes de concert, avant je trouvais ça émouvant qu'il y ait encore des gens dans la salle, maintenant je trouve ça dégoûtant de faire encore déplacer les gens"). On est piégé, éprouvé par la déferlante de ses propos, et on est déjà à terre lorsqu'il enchaîne et sort l'artillerie lourde avec sa version de "Paris", hommage irrespectueux à Daniel Darc ("Je dis beaucoup de mal de la province franchement, mais Paris est vraiment une ville de merde, comme dit Daniel Darc dans la seule bonne chanson qu'il ait jamais écrite..."), traçant de lui un portrait irrévérencieux jusqu'à le rendre pathétique ("Je t'ai beaucoup vu à Paris dans les années 90 mais c'était pas sur scène en tête d'affiche à l'Olympia, c'était chez ED l'épicier rue du Faubourg Saint-Antoine, t'étais à la caisse avec ton carton de 8/6…" ou encore, "On comprenait rien Daniel à ce que tu disais, Daniel dans quel état tu te mettais…"). On est comme KO debout, éreinté par tous ces mots extrêmement durs et bringuebalés entre deux sentiments : est-ce que ces deux premiers titres doivent être pris comme une vérité absolue, le cynisme légendaire de Pascal Bouaziz se serait transformé en mépris, ou bien est-ce ce cynisme qui a gagné en intensité et nous bouleverse aujourd'hui démesurément ? L'alternative n'en est pas une, et le problème est là. Bruit Noir cogne et il n'y a pas d'autre choix que le suivre dans la voie dans laquelle il souhaite nous entraîner, inexorablement, où se succèdent, en vrac, son dégoût pour les réseaux sociaux et le capitalisme ("Des Collabos"), sa déception envers l'Europe ("L'Europe") ou encore ses obsessions pour la vieillesse et sa fascination pour Paris (un interlude enregistré dans le métro s'intercale entre chaque titre).

On pourrait s'agacer, lui en vouloir de nous avoir tant secoués, tenter de démêler la pelote de mépris, rancoeur, jalousie, cynisme, provocation, et obsession, lui rappeler que cynisme et sarcasme n'ont pas la même vocation, mais on a juste envie de lui dire, en le pensant sincèrement, et surtout en espérant réussir à l’agacer… "Merci d'exister".


Ce qu'on a aimé
Le cynisme
L'auto-dérision
La noirceur du propos
La finesse de l'écriture
La mise en musique
La pochette
Ce qu'on n'a pas aimé
Qu'il nous plombe avec "Paris"
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TRACKLISTING
1. M1
2. Le succ

DATES
Sorti le vendredi 01 février 2019
Chroniqué le 18 février 2019