THE ESSENCE
Interview réalisée par Christophe Labussière
Quel plaisir de retrouver Hans Diener. On se souvient avec émotion des premiers albums de The Essence parus dans la deuxième moitié des années 80 et du plaisir que nous procuraient ces chansons, comme produites par une version alternative de The Cure et menées par un double, loin d’être maléfique, de Robert Smith. Quatre décennies plus tard c’est sans langue de bois que nous échangeons avec Hans sur ces années pas complètement révolues, sur The Cure et sur le The Essence d’aujourd’hui que l’on retrouvera en concert à Paris au Supersonic Records le samedi 7 septembre.
Quand The Essence est apparu avec "Purity"en 1985, il s'est passé quelque chose d'assez étonnant, de très particulier même. Deux choses se produisaient en même temps. Le disque était d'une beauté incroyable, il avait la particularité d'enchaîner treize morceaux tous ultra efficaces, une pop cold, sobrement new wave, cotonneuse et aux embardées ambitieuses, aucun morceau n'était en dessous, une vraie succession de perles toutes aussi jolies les unes que les autres. On avait vraiment le sentiment de découvrir quelque chose précieux, à la fois touchant et beau. Et en même temps, ce son, dans un premier temps si singulier faisait irrémédiablement penser à The Cure, et ta voix à celle de Robert Smith. Je crois me souvenir, je me trompe peut-être, qu'à l'époque tu contestais cette influence, et, si je ne me trompe pas, tu répétais que ce n'était qu'une similitude accidentelle entre vos deux voix qui nous amenait à ce raccourci. Que The Essence n'avait rien à voir avec The Cure. Serais-tu plus honnête aujourd'hui ? Est-ce qu'en fait vous connaissiez les disques de The Cure par cœur et aviez envie de recréer ce son, cet "esprit", à votre façon ?
Tout d'abord, merci beaucoup pour ces compliments et me dire de cette façon à quel point tu as aimé notre premier album. Comme pour la plupart des groupes, la composition du premier album se fait dès les débuts du groupe et se développe au fil du temps avant d'être enregistré. C’est surtout au début que l’on nous comparait souvent à The Cure, en particulier ma voix. Je n'ai jamais nié que j'aimais ce groupe et qu'ils m'ont donc influencé, mais la manière dont cela a été présenté dans la presse générale, c'était comme si nous n'écoutions que The Cure, ce qui est (et reste) complètement faux. En tant que guitariste, mes influences étaient bien plus du côté de The Edge, David Gilmour et John McGeoch, et en ce qui concerne ma voix, elle est... naturelle. Je suis d'accord, nous avions (avons) un ton et un style similaires à The Cure à cette époque. Mais si je devais citer quelques influences musicales au début du groupe, cela irait de U2, Joy Division, New Order, The Cure, etc., jusqu'à Kraftwerk, David Bowie et des chansons occasionnelles que j’entendais à l’époque à la radio.
De mon point de vue les similitudes concernaient la voix, incontestablement, mais aussi l'esprit. Le champ lexical était très proche de celui de The Cure. "Cat", "Blind", "Forever", "Reflected", "Dream"...
En réalité, j'ai écrit la chanson "The Cat" sous une forte influence de l'album "Movement" de New Order. "The Blind" et "Forever" ont été inspirés par Siouxsie et les guitares de John McGeoch. Cependant, je peux comprendre que tu trouves que "A Reflected Dream" soit une chanson qui ressemble à du Cure.
« J'ai vu The Cure lors de leur Faith Tour aux Pays-Bas sous un chapiteau. L'atmosphère m'a vraiment saisi et je suis tombé amoureux de ce son. »
Vous étiez influençables sans vous en rendre compte ou tout simplement des fans ?
Je me souviens encore d'avoir été bouleversé par l'album "Boy" de U2 et, quand je les ai vus en concert en 1981, The Edge est devenu mon héros de la guitare. Cette même année, j'ai vu The Cure lors de leur "Faith Tour" aux Pays-Bas dans un chapiteau. L'atmosphère m'a vraiment saisi et je suis tombé amoureux de ce son, tout comme dans les années 90, quand j'ai entendu Radiohead pour la première fois et que je suis allé à leur concert, j'ai été complètement époustouflé.
Je me souviens quand vous veniez en concert à Paris, je pense que je vous ai vus deux, peut-être trois fois, les salles étaient remplies, et la moitié du public étaient avant tout des fans de The Cure, des ultra fans. Une fois le concert terminé, si mes souvenirs ne me trompent pas, vous veniez sur le bord de la scène signer des autographes. Vous aviez bien conscience que ces fans étaient avant tout des fans de The Cure ? Même si évidemment ils appréciaient votre musique.
Partout où nous jouons, nous attirons aussi des gens qui aiment The Cure. Ce n'est pas étonnant puisqu'il y a des similitudes. Si tu écoutes nos nouvelles chansons que l’on joue en concert, qui ne sont pas encore sorties, elles n'ont rien à voir avec eux.
« À un moment donné, au début de la vingtaine, j'ai complètement changé cela en commençant à ressembler davantage à Sonny Crockett de Miami Vice qu'à un gothique ! »
Tu étais physiquement une sorte de "best of" entre Simon Gallup et Robert Smith, ça aussi ce n'était pas accidentel...
Eh bien, dans les années 80, beaucoup de gens se teignaient les cheveux en noir et mettaient du crayon pour les yeux, en ce sens, je n'étais pas une exception, mais à un moment donné, au début de la vingtaine, j'ai complètement changé cela en commençant à ressembler davantage à Sonny Crockett de Miami Vice qu'à un gothique !
Tu es d'ailleurs toujours carrément très beau garçon (!), et tu as toujours de très beaux cheveux ! Je me permets de dire ça comme ça parce que sur ton Instagram tu n'hésites pas à te mettre joliment en avant. Tu aurais un conseil à donner à Robert Smith ? (Je plaisante).
Merci encore pour le compliment. Pour moi, les réseaux sociaux sont une vitrine pour le groupe et moi-même avec beaucoup de "belles images". Je trouve cela divertissant et amusant, rien de plus. Concernant Robert, les drogues et l'alcool font beaucoup sur une personne... C'est à lui de voir, mais je pense qu'un changement de style lui irait mieux. Je ne sais pas pour ses cheveux, mais il est clair qu'il n'en a plus beaucoup et qu'il les dissimule avec son style de coiffure en arrière… Mais il semble très à l'aise avec son apparence, et c'est tout ce qui compte !
Tu les as d'ailleurs rencontrés à l'époque ou échangé avec eux ?
Oui, je l'ai rencontré plusieurs fois. La première fois que j'ai rencontré Robert, c'était quand il jouait avec Siouxsie. Nous sommes allés ensemble passer la soirée dans un club. Les années suivantes, j'ai pu voir le groupe après des concerts et nous sommes allés dans des clubs à Amsterdam, etc. C'était dans les années 80.
« C'est d’ailleurs une chose que je dois dire à propos de Robert, il pouvait écrire des chansons sombres, mais aussi des chansons pop. C'est ce que j'ai toujours admiré chez lui et ce que nous avons en commun. »
Avec "Purity" et "A Monument of Trust" qui est paru deux ans plus tard, en 1987, vous vous sentiez faire partie de quelle "scène" ? Vous étiez sur le même label que Sad Lovers and Giants, ce n'est pas rien, mais est-ce que d'une certaine façon vous vous sentiez proche d'autres groupes ?
Pour moi, les choses n'ont jamais été autant soulignées comme faisant partie d'une "scène" spécifique. Il était facile de nous ranger dans une case avec The Cure, Joy Division, New Order, Echo & the Bunnymen, etc., mais j'écoutais toutes sortes de choses, de Aha à U2, Barry White, Kraftwerk, et aussi parfois des trucs vraiment commerciaux qui tournaient dans les charts. Je n'aime pas être cantonné à un seul style. C'est d’ailleurs une chose que je dois dire à propos de Robert, il pouvait écrire des chansons sombres, mais aussi des chansons pop. C'est ce que j'ai toujours admiré chez lui et ce que nous avons en commun.
Vous êtes originaire des Pays-Bas, est-ce que tu dirais que cela vous a aidé parce que ça vous singularisait ou plutôt que ça vous a compliqué la vie ?
Comme nous avions un contrat de disque au Royaume-Uni, notre base était là-bas, mais je suis certain que cela n'a pas aidé d'être un groupe néerlandais. La Hollande n'est pas très célèbre pour ses artistes internationaux. Ce sont surtout des succès locaux que les artistes néerlandais ont.
En 1988 sort "Ecstasy". Ce disque perd sa "facilité" pop, il démarre avec beaucoup de guitares et ensuite tout est un peu "down tempo". Il y a de nouvelles perles, "Only for You", qui réancre le son dans celui de The Cure, "Afterworld", ou "Despair" (qui est tout de même un peu poussif), comment voyais-tu l'orientation de The Essence en écrivant cet album ?
Pour moi, "Ecstasy" a marqué le début d'une nouvelle ère d'écriture. J'étais à cette époque très influencé par Prince, entre autres. Je ne voulais pas m'en tenir à un seul style particulier d'écriture, alors j'ai écrit des chansons pop, des chansons rock, des chansons sombres, des chansons expérimentales, c'était un peu de tout.
En 1991, "Nothing Lasts Forever" est une très belle surprise, on y retrouve tous les "codes" des trois premiers disques, et on découvre un album qui se présente presque comme un sans faute. Les sons et ambiances qui nous rappellent The Cure sont toujours bien présents, mais plus maîtrisés peut-être, les guitares se font de nouveau plus discrètes, le disque est d’une certaine façon très "mature" ? Comment le perçois-tu de ton côté ?
"Nothing Lasts Forever" est mon album préféré. J'ai écrit ce disque après une période très intense de ma vie. De tout ce que j’ai pu faire, c’est ce qui se rapproche le plus d’un album conceptuel. En gros, c'était mon album d'exorcisme. Je parle de concept album, je pourrais le comparer à des albums de Pink Floyd ("Dark Side of the Moon"), The Cure ("Pornography"), U2 ("Achtung Baby"). Des chansons comme "Everything" et "Out of Grace" font partie de mes préférées parmi toutes celles que j'ai écrites.
Mais n'est-il pas arrivé trop tard ?
L'album est sorti trois ans après "Ecstasy". Il m'a fallu un certain temps pour "tout laisser sortir" d'un point de vue personnel, mais ce n'était pas trop tard. Il avait besoin de temps pour se développer.
Pourquoi donner ce nom à cet album ? Tu pensais à ce moment-là que tu allais arrêter ?
Encore une fois, le titre dit tout. Toutes choses finissent par se terminer à un moment donné. En fin de compte, la vie elle-même...
Quatre ans après "Nothing Last Forever", en 1995, sort "Glow". Comment le positionnes-tu par rapport aux quatre albums précédents ? Il démarre aussi avec beaucoup de guitares, qui reviennent tout au long du disque et en deviennent la trame de fond, le son semble s'éloigner de celui qui vous caractérisait, même si des morceaux comme "Right or Wrong", "Bleed" ou "Out of Grace" (bien qu'il y ait encore beaucoup de guitares à la fin du morceau) font toujours le job.
"Glow" a été le premier album où la musique a été écrite en groupe. Tous les disques précédents, je les avais écrits totalement seul, les paroles, la musique jusqu’aux parties instrumentales. C'était donc une nouvelle façon de composer, tous ensembles dans une pièce. C'est vrai que les guitares deviennent plus dominantes sur ce disque, mais il y a aussi encore pas mal de claviers. il faut se souvenir que sur "Purity" il n’y avait aucun clavier, sauf pour l'intro de "The Cat".
Et pourquoi y avoir remis une version de "Only for You" ?
Cela tenait en partie à notre maison de disques et en partie à une tentative de notre part de voir si nous pouvions le faire sonner mieux que l'original... ce qui n'a pas été le cas !
Pourquoi avez-vous ensuite arrêté de sortir de nouveaux albums ?
À un moment donné, nous avons tous commencé à faire des choses en dehors du groupe. En ce qui me concerne, je suis devenu responsable d'une maison de disques, et ça m’a particulièrement occupé !
Tu peux m'en dire plus, de quel style de musique s'agissait-il ?
Je n’ai en réalité pas créé de maison de disques. Mon associé et moi avons racheté la plus grande maison de disques indépendante aux Pays-Bas, qui existait déjà depuis de nombreuses années. Elle opérait principalement dans la musique grand public. En plus de gérer l’entreprise, j’étais également responsable de la section A&R (Artistes et Répertoire). J’ai développé de nouveaux artistes, principalement dans la musique grand public, et nous avons eu pas mal de succès dans ce domaine. Après plusieurs années, nous avons vendu l’entreprise à une grande société d’édition.
Pourquoi n'avez vous jamais arrêté ?
C'est simple, nous prenons trop de plaisir à jouer et, bien que ce soit plutôt lentement, nous enregistrons de nouvelles chansons qui verront le jour en temps voulu.
As-tu des regrets ? Si tu pouvais tout recommencer, y a-t-il quelque chose que tu ferais différemment ?
Peut-être oui, mais c’est de l’histoire ancienne. Au début, quand le succès a démarré, la maison de disques au Royaume-Uni avait fait faillite et j’avais décidé de me mettre en retrait pendant un moment, et je me suis concentré sur le côté industriel du milieu musical… Cela nous a essentiellement privé de la possibilité de viser un plus grand succès.
J'ai vu sur ta page Instagram que tu faisais des reprises en live, comme David Bowie, tu n'as jamais repris une chanson de Cure ?
Le truc drôle, c'est que quand le groupe a commencé en 1983 (nous nous appelions Movement à l'époque), nous avons joué des reprises pendant quelques mois, mais je voulais écrire ma propre musique. De nos jours, nous incluons parfois une reprise, ou parfois je chante une chanson ou deux quand je suis avec des amis à un concert. Cela peut varier de David Bowie à Justin Timberlake, en passant par Michael Bublé et The Cure. Nous jouions de temps en temps une reprise de The Cure, mais nous avons arrêté il y a des années. Je pense que la seule chanson que je pourrais être tenté de reprendre maintenant, parce que nous l'avons déjà faite avant, est "The Figurehead", une de mes chansons préférées de The Cure.