SLOW PULSE BOYS
The Story of And Also the Trees
The Story of And Also the Trees
Interview réalisée par Christophe Labussière
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[A FD Film]
Sorti le 24 octobre 2024
2h35 de film. 5 ans de travail. Est-ce que ces "Slow Pulse Boys", ce ne serait pas plutôt Sébastien Fait Divers et Alexandre François, co-réalisateurs de ce film magnifique consacré à And Also the Trees, et non pas les membres du groupe ? Cinq années se sont écoulées entre le moment où a émergé l’idée initiale du projet et sa sortie, il y a quelques jours. Pourquoi une telle durée, dantesque, pour un prétendu si petit et si confidentiel groupe ? Que s’est-il passé ?
Sébastien a répondu à mes questions en précisant à plusieurs reprises que je devais garder certaines choses pour moi, ce que j'ai donc bien veillé à faire, les garder pour vous.
Sébastien a répondu à mes questions en précisant à plusieurs reprises que je devais garder certaines choses pour moi, ce que j'ai donc bien veillé à faire, les garder pour vous.
Bonjour Sébastien. On se connaît tous les deux depuis le jour où tu m'as contacté pour me parler du projet sur lequel tu travaillais, un film consacré à And Also the Trees. On était en 2021, si je ne me trompe pas. Nous nous sommes ensuite rencontrés et avons pris un peu de temps pour discuter, quelques heures avant le concert que le groupe donnait à la Maroquinerie à Paris. Il allait y fêter ses quarante ans. Pendant notre échange, à quelques pas de la salle, rue Sorbier, tu a laissé ta caméra tourner. C'est à mon tour aujourd'hui de te poser quelques questions.
C'était effectivement en 2021. Et, comme l'a dit Simon pendant le concert, c'était ce soir-là les 41 ans du groupe qui étaient fêtés, à cause du Covid qui avait décalé cette soirée anniversaire d'un an.
Sébastien Fait Divers & Justin Jones
La question que j'ai à te poser, la toute première, concerne l'origine de ce projet. À quel moment as-tu eu cette idée, et est-ce que l'idée de départ ressemblait à ce qui s'est passé ensuite ?
Je pense que j'étais en manque. J'avais tourné avec And Also the Trees en 2012, en 2013, puis en 2016 pour "Born into the Waves". On était donc en 2019, et quand j'ai vu qu'ils allaient jouer à Cognac je me suis dit que ce serait sympa de refaire quelque chose avec eux. Ils repassaient donc en France, pas très loin de chez moi, c'était quand même à six cents kilomètres, et je me suis dit que ce serait intéressant d'aller les filmer. Après, il y avait cet anniversaire de leur quarante ans qui allait arriver en janvier, en janvier 2020 puisque la date de janvier 1980, de leur premier concert, marque pour eux la naissance du groupe. Ils avaient commencé à en parler un peu sur Facebook et je me suis dit, bon, 40 ans, c'est vrai que ça se fête. À ce moment-là, je me disais que ça pourrait être intéressant de faire un petit module pour chaque album du groupe, en demandant à chaque membre qui avait participé à chaque enregistrement de donner une anecdote, son titre préféré... Et puis après, je me suis dit que si on passait vingt minutes sur un album, cinq minutes par membre à chaque fois... j'ai vite réalisé que ça allait faire une saga indigeste. Mon idée a évolué, et j'ai eu envie de raconter l'histoire d'And Also the Trees sur un plus long format. Le concert de Cognac allait servir de tremplin. J'ai contacté Clément Marshall qui organisait la soirée aux Abattoirs en lui présentant mon projet, on a bien sympathisé, il m'a préparé une pièce pour pouvoir commencer les toutes premières interviews, et comme je voulais aussi que le projet soit quelque chose de solide au niveau de la connaissance du groupe, j'ai demandé à Alexandre François, que j'avais déjà rencontré plusieurs fois lors de concerts avec And Also et qui avait entamé l'écriture d'une biographie consacrée au groupe, de s'associer à moi, notamment sur la partie interviews. Je pense qu'en même temps ça a permis à Alexandre de se remettre un peu dans ce projet qui verra sans doute, j'espère, j'en suis certain même, le jour. Je voulais une expertise plus poussée pour les interviews, il avait travaillé à la Blogothèque (site connu dans les années 2000 pour ses films appelés "Les Concerts à emporter" ou "Les Soirées de poche" -ndlr) et il savait également utliser une caméra. Arrivé à Cognac je lui en ai donné une ! Le projet est né à ce moment-là.
Tu avais donc déjà eu l'occasion de filmer And Also the Trees à plusieurs reprises depuis 2012, mais dans quel cadre ?
Au départ, je suis animateur de radio, sur Radio Campus. J'ai commencé au lycée comme animateur bénévole d'une émission indée, et progressivement, j'ai invité des groupes locaux dans mon émission. J'ai toujours aimé le son, j'enregistrais déjà des groupes avec quelques micros avant, et j'ai naturellement lié les deux et ai enregistré des sessions que je rediffusais ensuite dans l'émission. Au départ des groupes locaux, puis progressivement des groupes nationaux, puis internationaux. Ça passe donc d'abord par le son, des sessions pour l'émission, puis plus tard je pose une caméra, la première fois avec Editors qui joue dans des studios de Radio Campus pour deux titres, et là je me dis que ce serait quand même dommage de ne pas garder des images. Je crois que c'est pour la 101e session que j'ai enregistré And Also the Trees dans le grenier de la Vapeur à Dijon, en 2012, puis en 2013 ils passent à la Cave à Musique à Mâcon, toujours en Bourgogne, à une heure et demie de chez moi. Je les contacte et je leur dis que j'aimerais bien capter le concert avec un audio multipistes, faire un truc un peu chouette. Le film sortira assez vite sur YouTube. Ensuite, on se revoit en 2016 à Paris et de nouveau à Dijon. À Paris au Café de la Danse, quand ils font leur double plateau avec Brothers of the Trees qui ouvre pour And Also. Un super concert que je capte et qui donnera le documentaire "Maësharn".
Tu avais donc déjà eu ces contacts professionnels avec eux avant d'avoir l'idée de faire quelque chose de plus complet.
On s'était déjà vus trois ou quatre fois, et j'avais gardé un contact régulier avec Simon. Pour la petite histoire, quand il y a eu les Christmas Shows avec The Cure fin 2014 à l'Hammersmith Apollo, j'échangeais avec Simon, avant l'annonce, et à ce moment-là, lui le sait, il sait qu'il va faire des premières parties de The Cure, mais il ne m'en parle pas tout de suite. Il n'avait, je pense, pas le droit de le faire. Ce qu'il me dit très vite tout de même c'est que Justin avait envoyé mon film "Missing in Mâcon" à Robert Smith, Justin et Robert ont des échanges épistolaires depuis quarante ans, et c'est après avoir vu le film que Robert leur a demandé d'ouvrir pour The Cure. C'est le film live le plus visionné d'And Also the Trees, il a été tourné en multi caméras, et il a permis cette belle histoire.
« Au départ ça a donc été "Merci beaucoup, mais non." »
Comment le groupe a reçu ta proposition de les filmer intimement ?
Il faudrait que je retrouve l'historique précis de mes emails, mais lorsque je présente à Simon l'idée des modules par album, tout en lui écrivant, et ça se confirme dans ses réponses, je réalise que ça va être trop long. Pour Simon, ça va me demander énormément de travail, il me dit qu'il va voir avec Justin et lui en parler. En fait on réalise assez vite tous les deux que le projet ne sera pas que musical, mais intime. Je ne connais pas Nick et Steven, les anciens membres, il y allait avoir en plus une question logistique et humaine un peu complexe. Ensuite oui, cette idée se transforme et germe celle d'un film qui raconterait l'histoire d'And Also the Trees. Je les sens au départ un petit peu rétifs, à juste titre, on se connaît sans se connaître, ils ont évidemment vu ce que j'avais filmé sur eux, ce n'est pas qu'ils doutent, mais ils se questionnent sur l'utilité de faire un film, un questionnement qui est très représentatif du groupe finalement. On est toujours dans cette ambivalence. Il y avait une question de confiance aussi qui était importante, je pense qu'on se connaissait suffisamment, mais de là à me confier le poids de leur questionnement. "Qu'est-ce qu'on va lui dire ?“, "Qu'est-ce qu'on peut lui dire ?". Je pense aussi qu'un des aspects qui pouvait leur faire peur était "Est-ce que ça ne va pas casser un peu la magie, le côté un peu mystérieux d'And Also the Trees ?", Inkberrow, Worcestershire, le côté "campagne" du groupe, finalement s'il se dévoile, est-ce que ça ne va pas briser toute cette magie, ce lien qu'ils ont eux et leur musique à la campagne anglaise des années 80. Même si c'est aujourd'hui un autre groupe. Il y a toute cette ambiguïté, cette ambivalence. Au départ ça a donc été "Merci beaucoup, mais non.". Mais Alexandre les connaissait depuis plus longtemps que moi, il écrivait sur eux, et je pense que cette association entre Alexandre et moi les a sécurisés. Il en a été la caution en quelque sorte. Mon projet initial est alors devenu notre projet.
« Alexandre les connaissait depuis plus longtemps que moi, il écrivait sur eux, et je pense que cette association entre Alexandre et moi les a sécurisés. »
Alexandre François & Simon Huw Jones
Ils ont donc accepté.
Oui. Mais ils se sont aussi demandé à un moment s'ils allaient avoir un droit de regard, c'était une question légitime. Mais le concert de Cognac a été "le" point de départ de cette aventure . Arrivés à Cognac, plus personne n'avait de doute.
Tu savais déjà à ce moment-là que le projet allait prendre la forme d'un film de deux heures trente et que tu allais travailler dessus pendant cinq ans ?
Je pensais que ça allait être long. Mais je ne pensais pas qu'il y aurait une pandémie mondiale qui allait fortement impacter le projet. Au départ, j'étais assez optimiste, parce que je ne me rendais pas forcément compte du boulot que ça allait représenter. Et au fur et à mesure que le projet s'est mis en place, nous avons envisagé de nouveaux acteurs que l'on pourrait interroger, à de nouvelles choses... au départ, on s'était dit qu'on allait faire certaines interviews en visio, et finalement, pourquoi ne pas aller en Angleterre, etc etc. Le Covid a repoussé le planning, mais en même temps ça nous a permis de prendre notre temps. Les interviews de Nick Havas et Steven Burrows, nous aurions dû les faire plus tôt, mais nous avons souhaité les faire à inkberrow où nous sommes restés trois jours. Ça m'a aussi permis de contacter d'autres personnes comme Emer Brizzolara qui était la claviériste guitariste pendant une quinzaine d'années, Ian Jenkins qui était très difficile à joindre, ou Richard Waghorn qui est notamment le producteur de "Virus Meadow" et qui raconte d'ailleurs superbement bien l'enregistrement, un album culte enregistré dans son salon, Chris Berry qui était le manager de Reflex, etc. Ça nous a offert du temps.
Il y a d'autres intervenants que le groupe dans le film, comme Lol Tohurst de The Cure. On sait à quel point il a été important à un moment charnière de l'histoire du groupe. Tu as réussi facilement à le faire participer au film ?
Alors. Il y a ce que je peux dire, mais il ne faudra pas forcément tout écrire... Au départ, je contacte la manageuse de Lol Tolhurst, elle me répond très vite en me disant "Ha oui, c'est super, Lol sera super partant, écoute, par contre il ne peut faire des interviews qu'à 21 heures le soir, heure de Los Angeles.". Ce qui moi me faisait six heures du matin. J'envisage donc de le faire via Zoom, ce qui ne va pas être d'une qualité exceptionnelle... alors je lui demande si elle peut le filmer, et m'envoyer les vidéos qui seront de meilleure qualité. Elle est partante. Je lui fournis quelques questions, et je n'ai pas de retour. Je la relance, elle me dit qu'elle n'a pas eu le temps. Je relance en fin de confinement, le ton change et là elle me dit "Mais je ne sais pas si tu es au courant, en ce moment il y a des incendies en Californie, je n''ai pas que ça à faire que d'aller voir Lol, c'est hyper dangereux...". Puis après trois ou quatre relances supplémentaires, je me dis, c'est cuit. Finalement, pour la faire court, j'ai contacté la femme de Lol, Cindy Tolhurst, qui a posé les questions à son mari et l'a filmé (rires). Ça aura pris deux ans de discussions.
« On a aussi fait des pieds et des mains pour avoir Robert Smith... »
Ce qui explique pourquoi on est aujourd'hui en 2024, alors qu'on était en 2019 quand tu as commencé... Je suis obligé de te poser une autre question, il y a une absence "notable" dans le film pourtant riche et complet en termes d'intervenants et de témoignages, c'est celle de Robert Smith...
Oui. (Silence) Oui, bien sûr, on aurait aimé. (Silence) On a aussi fait des pieds et des mains pour l'avoir...C'est pareil, l'envers du décor... Justin est en contact avec Robert Smith depuis toujours, il s'écrivent... On a essayé par d'autres biais, en passant par Roger O' Donnel... En fait, il y avait plusieurs canaux, au moins trois, qui pouvaient arriver à lui. Mais aucun retour. On nous a aussi donné comme raison qu'il n'aimait pas parler de lui. Ça ne s'est pas fait. Mais au fond... En plus, ça aurait sans doute été très compliqué au niveau des droits, on aurait dû signer 50 000 autorisations. Alors oui, évidemment on aurait aimé avoir ne serait-ce que trente secondes de lui dans le documentaire. Connaître son regard sur le groupe aujourd'hui. Parce que The Cure fait partie de la magie de l'histoire d'And Also the Trees, qui est une super histoire, ils font tout de même leur première partie pour leur cinquième ou sixième concert, en 1980.
Effectivement, on comprend très vite dans ton film ce lien, cette connexion initiale entre les deux groupes D'un côté tu as ces gamins de seize ans, des enfants, qui se retrouvent à côtoyer The Cure. Qui eux-mêmes sont quasiment encore des enfants...
C'est ça... et puis il y a les à-côtés, ce sont des choses qu'a racontées Simon sur sa page Facebook, dans les petits épisodes qu'il poste de temps en temps, lorsqu'il raconte qu'ils sont en studio avec Robert Smith qui leur dit "Tiens, je viens d'enregistrer un nouveau morceau." et qu'il leur fait écouter "Charlotte Sometimes", et plus tard qu'une femme entre dans la pièce et que c'est Siouxsie à qui ils n'osent pas parler tant elle les impressionne.
Je savais qu'il y avait eu de multiples rencontres artistiques entre The Cure et And Also the Trees, mais je n'avais pas conscience qu'il y avait un lien fort qui n'avait jamais cessé d'exister. J'ai redécouvert ça en regardant le film.
En 1984, And Also the Trees ouvre pour The Cure sur une dizaine de dates en Angleterre, dont le concert à l'Hammersmith. En 1989 Robert Smith va remixer "The Pear Tree". Ou encore il y a le fameux "Where is Robert?" gravé sur le vinyl du maxi "A Room lives in Lucy", autour de l'étiquette centrale. Ils se sont amusés à graver cette phrase parce qu'ils avaient attendu Robert Smith qui devait mixer le disque et qui n'est finalement jamais venu. Il y a souvent eu des petites choses comme ça, des rendez-vous manqués. Et de belles choses. Justin me racontait qu'un jour il a reçu un paquet de Robert dans lequel il y avait des K7 de concerts d'And Also the Trees lorsqu'ils avaient joué en première partie de The Cure en 1981, des enregistrements audio enregistrés depuis la table de mixage, et que Robert les avait faits nettoyer. Ça peut être un long silence radio, puis d'un seul coup une invitation à faire trois fois sa première partie. Mais nous pensons avec Alexandre que pour Robert Smith l'histoire d'And Also the Trees lui semble exceptionnelle, comment un groupe peut faire la musique depuis quarante-cinq ans sans en vivre, ils bossent tous à côté, ils posent des vacances pour partir en tournée, et ils sortent tout de même un disque tous les deux ou trois ans. Alors qu'en en vivant très très bien comme The Cure, en seize ans ils n'arrivent pas à produire un seul disque. Je pense que ça le fascine.
Je trouve la première partie du film très intime, ils se racontent, se dévoilent beaucoup. Est-ce qu'ils se sont livrés facilement ?
Je pense qu'il y a eu un contexte favorable, parce que, comme Simon avait commencé à écrire ses petits articles chronologiques sur Facebook, ça a dû réactiver un peu sa mémoire. Après, il a beaucoup de carnets Simon, des carnets où il a écrit beaucoup de moments, des mots, des récits de telle ou telle journée. La première interview de Simon se fait à Cognac, mais ensuite, l'été 2020, on va chez lui, dans sa résidence au sud de la Bourgogne. Et là, on sort du Covid, il y a le plaisir de se retrouver, il fait très beau, on ne reste pas très longtemps, vingt-quatre heures sur place, mais il se livre assez facilement. C’est Alexandre qui pose les questions, ils se connaissent bien, la confiance est déjà bien installée entre eux deux. Même si j’aurai préféré avoir moins de rushs pour faciliter le montage (rires).
Tu m'as parlé du droit de regard auquel tenait le groupe, sont-ils intervenus sur le contenu du film ?
En fait, jamais. Et encore une fois, ça fait partie des paradoxes que je trouve assez charmants chez eux. Simon me l'a refait en 2023, ils jouaient à Dijon, on a fait une rencontre avec le groupe juste avant leur concert. Pendant les balances, Simon me dit "Au fait, tu vas passer quinze minutes du film ce soir, on n'a rien vu pour l'instant, ce n’est pas grave, par contre pour les prochains chapitres tu pourras nous les envoyer régulièrement comme ça on validera à chaque fois ?" Et quand ensuite je leur envoyais des bouts du film, ils ne regardaient pas. Je pense qu'ils sont très pudiques, ils n'aiment pas se voir en concert, et je pense aussi que comme on les envoyait aussi à Nick et à Steven, ils ont eu des retours positifs de leur part, donc par ricochet, ça les rassurait.
« Ce sont les parties que je préfère du film, quand Justin raconte "On a douze ans, je vois ce garçon qui arrive sans dents, je l'ai adoré tout de suite, et plus tard je me marierai avec sa sœur." »
Vous avez rencontré Simon chez lui en Bourgogne, et concernant Justin ?
Justin est peut-être le plus... "distant", mais c'est un peu sa carapace. Quand on projette d'aller en Angleterre en mai 2022, Justin me dit "Écoute, si tu veux, tu me dis quel jour vous voulez venir à inkberrow, et on ira ensemble." On y est allés, il m'a montré la campagne, on a fait des interviews, on n'était pas loin de là où habitaient ses parents, à cent mètres. D'ailleurs on ne filme jamais la maison, on ne veut pas filmer la maison de leurs parents, il n'y a que sur les photos qu'ils m'ont transmises qu'on la voit. Justin se livre pendant deux heures. Ce sont les parties que je préfère du film, quand il raconte sa rencontre avec Steven Burrows en disant "On a douze ans, je vois ce garçon qui arrive sans dents." et il se met à rigoler et il dit "Je l'ai adoré tout de suite, et plus tard je me marierai avec sa sœur.", ça le fait marrer. En fait, je pense qu'on a appris aussi à se connaître respectivement. Après, ça ça reste entre nous, je leur ai renvoyé les liens de la version finale du film il y a dix jours, je n'ai aucun retour. Pourvu qu'ils ne nous détestent pas !
« Il y a ce qu'on va appeler les "Champagne moments", comme le dit le groupe quand il se passe quelque chose d'"inattendu" en studio, ces moments de grâce, quand on sent qu'on tient quelque chose d'incroyable, ces petites anecdotes géniales auxquelles tu ne t'attendais pas. »
Comment s'est passé votre collaboration avec Alexandre François, quelles ont été vos contributions respectives ?
L'idée de départ, l'aspect technique, les budgets, la logistique, c'est moi. Je suis aussi l'homme des deadlines, parce que je pense que sinon le film ne serait pas encore fini ! Il pourrait être sans doute meilleur si on s'était donné un an de plus. Mais j’ai été étudiant chercheur, et je sais que tu peux chercher toute ta vie, mais qu'à un moment donné, il faut rendre ton écrit. Là c'est pareil, il fallait que ça se termine, avec les imperfections qu'il y aura. Mais nous sommes très contents du film tous les deux. Alexandre a écrit la grande majorité des interviews et son talent c'est qu'il va au fond des choses, nous avons été parfaitement complémentaires sur le projet. Et tout ce qui n'est pas dans le film, il y a énormément de matière, ça nourrira, je l'espère, son livre. Avec Simon par exemple, on a tourné quatorze heures. C'était génial. Le problème, c'est qu'au montage, c'est l'horreur. Il y a ce qu'on va appeler les "Champaign moments" c'est-à-dire des choses incroyables, ces petites anecdotes géniales auxquelles tu ne t'attendais pas, que, si tu avais posé des questions beaucoup plus directes tu n'aurais jamais obtenues. Ça a été tout l'intérêt de notre travail à deux ! Concernant le montage, il se faisait à distance dans un premier temps, Alexandre m’apportait ses corrections, ses retours, ou alors il me faisait des propositions de coupes des interviews, je les mettais en image, et les derniers mois on a réussi à se faire des journées montage en présentiel, beaucoup plus productives. Le narration y a indéniablement gagné. Alexandre tient également la deuxième caméra sur une bonne partie des concerts filmés depuis 2019. C’est vraiment un film à deux.
Je t'en avais parlé lors de nos différents échanges quand tu m’avais montré des montages intermédiaires, j'ai adoré ce que j'appelle la première partie du film, et un peu moins la seconde, qu'en penses-tu ?
J'avais réfléchi à ça quand tu m'en avais parlé, on aurait pu faire plus court, mais c'est aussi une période importante, celle où le groupe perd une partie de son public de la première heure qui ne comprennent pas ce qu'ils font, c'est la période "américana", ils ont une fascination pour les États-Unis. Ils vont eux-mêmes l'admettre, ils s'essoufflent, Nick va partir. Cette partie, qui est peut-être finalement la moins bien connue de leur histoire, parce que ce sont les albums les moins aimés, je pense qu'il fallait qu'on la raconte. Si nous l’avions passé plus rapidement, ça aurait aussi été un parti pris. Cette période de doutes est importante.
Quelles sont les rencontres notables que tu as pendant la réalisation du film ?
Il y a eu de belles histoires. J'ai retrouvé cette asso qui s'appelait Structure Moderne et qui a filmé pas mal de concerts dans les années 80. C'était une caméra prise de son public, et les mecs vendaient ça ensuite dans des barquettes de congélation à la Fnac. C'était validé par les managements, c'était en gros des bootlegs semi-officiels. En discutant avec Thierry, un des deux responsable de Structure Moderne, il m'a dit en qu'ils avaient filmé New Order à la Mutualité, ou encore New Model Army... Je trouve ça fascinant. C'est ce qui m'a plu là-dedans. J'ai retrouvé un concert qui était paumé dans le vidéo club universitaire de Nantes qui avait été filmé dans un festival en 92. On a quand même raconté l'histoire d'un groupe qui n'a fait aucun passage télé. Heureusement qu'il y a Christophe Cordonnier à qui je rends un très grand hommage parce que Christophe, c'est quand même le fan numéro 1, il a a dû filmer And Also the Trees cent cinquante fois, il était aux États-Unis pour filmer tous les concerts de tournée américaine en 1991. On s'est recroisés à certains concerts et il est toujours avec son trépied, sa caméra plan fixe. Quand je l'ai contacté au départ, je lui ai demandé pour un ou deux films, et puis il m'a dit "Écoute, tant que c'est pour un And Also, je t'ouvre la boîte de Pandore.". C'est impressionnant, sans lui je pense que le film, enfin même je suis sûr, le film n'aurait pas été pareil parce, on n'aurait pas eu de vidéos jusqu'en en 2000.
Sébastien Fait Divers
Concernant les compléments du film, tu peux m'en dire plus ?
En fait, il y a une heure vingt à peu près de bonus sur le DVD, avec une sélection très subjective de morceaux de certains concerts de 1983 à 2024, quatorze morceaux en entier répartis sur les quarante années. Sur la plateforme en ligne auquel tu auras accès en achetant le DVD, il y a quatre heures de bonus à visionner.
Je ne sais pas si tu sais comme vous avez impressionné Grant Gordon tant vous avez toujours réussi à rester discret lorsque vous tourniez sur scène Alexandre et toi. De son point de vue, vous faites partie de l'équipe technique comme les amplis de Justin et la clarinette de Colin !
C'est vrai qu'en général j'essaie de ne jamais déranger le groupe que je filme. D'ailleurs au tout début du premier concert que j'ai filmé, Simon m'a dit qu'il n'y avait pas de soucis, mais qu'il était essentiel que je ne dérange pas le public, les gens ont payé pour venir les voir et il n'aimait pas trop l'idée qu’il y ait quelqu'un qui puisse leur boucher la vue. C'est tout à fait normal, nous avons toujours essayé d'être le plus discret possible. Je pense qu'effectivement, comme il le dit, nous faisons partie de l'équipe technique, on gravite autour d'eux sans ne jamais les gêner. On a toujours veillé à préserver leur intimité, on ne passe pas la soirée dans les loges, on passe juste les voir pour leur faire coucou, on boit un coup, on discute deux minutes, mais on ne s'attarde jamais.
Paul Hill voulait savoir si après avoir filmé des performances lives et des documentaires tu avais envisagé de te lancer dans l'écriture et la réalisation de courts métrages avec des acteurs ?
Non, vraiment pas. J'ai déjà réalisé quelques clips, mais j'aurais besoin de vraiment trop de temps pour préparer le storyboard etc. J'aime les bonnes surprises, j'aime filmer plein de choses et, au montage, les voir prendre forme. J'adore ça. Un film, la direction d'acteur... non.
Quant à Colin Ozanne, il se demandait quand sortira la deuxième partie du film ?
(Rires) Dans quarante ans !
Simon Huw Jones avait lui aussi une question à te poser, il aurait aimé savoir avec avec quel artiste tu pourrais refaire le même type de film ? Il m'a précisé que tu pouvais aussi avoir accès une machine à remonter le temps pour t'aider à choisir !
(Long silence) Il y aurait plein de choses. Avec un groupe qui n'existe plus sans doute. (Un nouveau long silence) The Smiths je pense. Mais, en fait je pense que pour répondre un peu à côté, ce serait plutôt l'envie de faire quelque chose qui s'intéresserait à la scène mancunienne. Manchester reste "ma ville", ma ville musicale. C'est une ville fascinante, il n'y a pas à l'équivalent en Angleterre, même à Londres. J'aime en fait quand on me raconte l'histoire de cette période, que je pense j'ai fantasmée quand j'étais ado, et c'est vrai que parfois je me dis que j'aurais aimé avoir des caméras, être plus âgé à l'époque, et filmer tout ça.
Justin Jones souhaitait aussi te demander ton avis. D'après toi, que penses-tu qu'And Also the trees devrait faire ensuite ?
(Long silence) Continuer... en fait, je pense que la conclusion de Simon à la fin du film répond à cette question. Tant qu'il y a l'envie, il continuera. Il y a ce lien fraternel qui joue beaucoup, mais je crois que c'est ça, ça ne tient qu'à leur envie.