Data-Bank-A

Interview réalisée par Bertrand Hamonou

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English version of the interview

« The Extremist »

[True Age Records]

Sortie le 11 octobre 2019

Celles et ceux d'entre nous qui suivions avec attention les sorties du label Lively Art à la fin des 80s et au début des 90s se souviennent très certainement de la darkwave EBM et robotique de Data-Bank-A, ses trois albums et son maxi sortis à l'époque sur le label français. Ce que nous avons moins bien suivi en revanche, c'est la carrière d'Andrew Szava-Kovaks, membre fondateur du groupe en 1980, qui a succédé à cette première période. Prolifique et en toute indépendance, l'Américain à continué vaille que vaille à publier des albums sur son propre label True Age Records depuis plus de vingt ans. C'est à l'occasion de la sortie en octobre de son dernier disque en date, "The Extremist", que nous l’avons contacté afin d'analyser rétrospectivement une carrière que nous n'avons peut-être pas suivie avec autant d'attention que nous l'aurions dû, afin d'esquisser un bilan à l'heure où Data-Bank-A affiche bientôt quarante ans d'activisme et de production.

Andrew, ma première question est assez égoïste parce que ça fait trente ans que je me demande bien d’où vient le nom Data-Bank-A que j’ai toujours trouvé mystérieux. Est-ce que tu peux me donner la réponse aujourd’hui ?
Le nom “Data-Bank-A” m’est venu autour de 1980, lorsque je me suis procuré ma première boîte à rythmes, une Rhythm King, et mon premier synthétiseur, l’Oberheim TVS-1. J’aimais bien le fait que ces machines organisaient les sons sous la forme de banques de données (Data Banks). À l’époque il y avait aussi une montre, je crois que c’était une Casio, qui s’appelait la Data Bank. C’était le moment où les ordinateurs étaient en train de devenir de plus en plus pratiques et disponibles pour le grand public. J’aimais tellement ces machines ! Elles nous permettaient de faire de la musique et imposaient l’ordre au beau milieu de notre chaos. J’ai donc commencé à considérer ma musique en tant que données musicales, comme des informations qui nous permettraient de supporter la réalité. Quant au A final, c’est simplement l’initiale d’Andrew.
« En 1990, juste après la sortie de “Salad Days,” les ventes de mes albums chez Lively Art/New Rose étaient en chute libre, tant et si bien qu’ils ont décidé d’annuler notre contrat. Je n’avais nulle part où aller avec ma musique, je n'avais pas d'autre choix que celui de m’autoproduire, ce qui était impossible à l’époque car je n’avais ni boulot ni argent… ce sont mes années noires. »
Tu n'as pas arrêté de composer ni d'enregistrer et pourtant en France on a l'impression que la carrière de Data-Bank-A s'est arrêtée après "Salad Days", un disque sorti à l'époque (1989) chez nous, sur Lively Art. Est-ce que cela te surprend ? Qu’est-ce qu’il s’est passé à l’époque ?
Non, ça ne me surprend pas du tout. Cette période correspond à la première fois de ma carrière où je me suis senti terriblement découragé par le business de la musique, et ça a duré de 1990 à 1992. En 1990, juste après la sortie de “Salad Days,” les ventes de mes albums chez New Rose étaient en chute libre, tant et si bien qu’ils ont décidé d’annuler notre contrat. Je n’avais nulle part où aller avec ma musique, je n'avais pas d'autre choix que celui de m’autoproduire, ce qui était impossible à l’époque car je n’avais ni boulot ni argent… ce sont mes années noires. Je suis retourné à la fac pour terminer mon cursus de Philo. Seulement je ne pouvais pas m’empêcher d’enregistrer des morceaux tout le temps dans mon studio. En 1992, le label allemand Subway Records m’a contacté afin de ressortir mes premiers travaux, “The Citadel” et “Access Denied", et ils voulaient également de nouveaux titres. C’est à ce moment là que je leur ai donné l’album qui s’intitule “Empty”.

D'ailleurs est-ce que tu pourrais conseiller trois disques de Data-Bank-A à nos lecteurs qui ont perdu ta trace depuis la période Lively Art ?
C’est une question difficile parce que j’ai enregistré plus de vingt albums depuis. Mais ceux que j’aime le plus sont les plus récents, c’est toujours comme ça ! Je recommanderais donc “The Extremist,” “The Realist” et “If Memory Serves”.

Le seul hiatus notable dans ta très longue carrière est celui entre 2003 et 2011. Correspond-il a un événement particulier dans ta vie ?
Il s’agit là de la seconde période dans ma vie, entre 2003 et 2010, où je me suis à nouveau senti découragé, de la même manière qu’au début des 90s, comme je te le disais tout à l’heure. Bien que je continuais d’enregistrer mes titres, cette fois c’était par intermittence et de manière décousue. Beaucoup de choses étaient en train de changer à cette époque. Encore une fois, je n’avais pas de label, pas de distributeur ni même de ventes. C’était très décourageant. À ce moment-là, toute l'industrie subissait un changement équivalent à celui du passage brique, mortier et ventes par correspondance aux téléchargements électroniques. Le processus d'enregistrement lui-même venait de passer au tout informatique. Et bien que j'avais embrassé ce changement, il apportait aussi son lot de difficultés telles que les formats de fichiers, les convertisseurs, le stockage, etc... et j'ai dû également changer mon équipement jusqu'à ce que je trouve des solutions qui fonctionnaient de manière similaire à l'analogique. Mais mon plus gros problème a toujours été de trouver des gens pour écouter ce que je faisais, et ce jusqu'à ce qu'iTunes et des distributeurs tels que Amazon et CDBaby s'établissent pour de bon. C'est à ce moment-là que j'ai pu retrouver un public, alors que les concerts n'étaient même pas envisageables vu qu'il n'y a pas de salles dans ma région. Avec le temps, tu vois, je suis devenu un diffuseur de plus sur internet, et les seules réponses que j'ai viennent de la part de gens comme toi. C'est ce qui me permet de continuer d'ailleurs, en publiant mes disques à mon rythme. Ceci dit je trouve ça amusant de terminer un enregistrement et de le mettre à la disposition du public en quelques jours plutôt qu'en plusieurs mois tel que c'était le cas dans l'ancien temps. La méthode action-réaction est instantanée aujourd’hui, et j'aime ça, même s'il n'y en a pas tant que ça pour moi ni mon travail : je suis un dinosaure.
« Je m'intéresse aux trilogies et aux triptyques depuis que je les ai étudiés en cours d'Histoire de l'Art. Ils existent depuis longtemps surtout dans la peinture religieuse. Et puis il y a aussi le concept de "Puissance Trois" qui me plaît. »
Depuis les années 2010 tu es sur le format trilogie ("Time Stops For no Man", "Lost in Time") voire tétralogie ("The Human Condition") pour les quatre albums de 2018 et 2019. Pourquoi ce choix ?
Je m'intéresse aux trilogies et aux triptyques depuis que je les ai étudiés en cours d'Histoire de l'Art. Ils existent depuis longtemps surtout dans la peinture religieuse. Et puis il y a aussi le concept de "Puissance Trois" qui me plaît. Et comme je me retrouve souvent à ré-interpréter certaines de mes idées sur plusieurs variations, notamment sur les pochettes, j'ai toujours du mal à me décider sur la version à utiliser, ce qui m'arrive aussi avec les mixes. Comme je travaille avec une configuration de matériel et de sons sur des périodes de temps variables, je finis par avoir de multiples variations d'idées qui restent dans le même style. J'aime donc faire trois albums sur ce style, qui forment un groupe ou une trilogie. Mon dernier groupe d'albums a commencé en tant que trilogie puis il a muté en une série qui se poursuit, la série des "__ist" ("The Optimist", The Pessimist", The Realist", "The Extremist"), et je ne sais pas trop combien je vais en faire.

D'où te viens cette énergie, cette force créatrice ? Tu as quand même sorti trois albums l'an dernier...
Dieu seul le sait... Ce n'est pas comme si je pouvais la contrôler, ça coule tout simplement. C'est la raison pour laquelle il y a des périodes durant lesquelles je ne sors rien pendant des années, et d'autres où je sors plusieurs disques en quelques mois. Par exemple l'an dernier j'ai sorti quatre albums, trois pour Data-Bank-A et un pour Fuel Rod. Cette année j'en ai fait un pour Data-Bank-A et deux pour Arctic Air Mass, un projet ambient Reiki. L'an prochain, qui sait ce que je vais faire ? Peut-être que j'arrêterai : mon public rétrécit, je suppose donc qu'il y a de moins en moins de raisons de continuer. Après tout, j'ai 62 ans et à mon âge il est peut-être temps d’arrêter.

Tu t'occupes de tout toi-même depuis que tu as lancé ton propre label True Age Records en 1996. Est-ce que c'est plus confortable de cette manière que ça ne l'était lorsque tu étais signé sur des labels indépendants et que tu n'avais pas à te mêler du côté business des choses ?
En fait, j'ai toujours eu le contrôle sur tout ce que j'ai produit depuis 1983, quand j'ai monté mon premier label KO City Studio sur lequel j'ai sorti les trois premiers albums ainsi que deux EPs. J'aime la liberté que me donne le fait de tout faire moi-même, je ne peux pas m'imaginer laisser le contrôle de mes productions à quelqu'un d'autre. Puisque mon travail n'est pas viable commercialement, la seule manière de le faire exister est de le sortir moi-même. Et cela signifie que je dois enregistrer, mixer, faire le mastering et créer les pochettes. Ce n'est qu'entre 1987-1990 et 1992-1995 que mon travail est sorti sur un autre label que le mien. En 1996, je m'y suis remis. Et puisque je venais de déménager et que la digitalisation était passée par là, j'ai alors décidé de renommer le label en True Age Records. J’essaie d’ailleurs de trouver un meilleur nom parce qu'aujourd'hui celui-ci me semble bizarre…
« J'ai bien peur que d'autres ont critiqué cette uniformité et l'ont attribuée à un manque de créativité de ma part, prétextant que je suis coincé dans une ornière depuis laquelle je fais la même musique encore et toujours... Moi j'aime penser que c'est juste mon style, qu'il y a un certain son et des éléments de compositions qui m'intéressent, et que j'aime explorer en profondeur ce que la niche dans laquelle je suis a à offrir. »
Malgré le changement de matériel et de personnel, un titre de Data-Bank-A est identifiable immédiatement. Est-ce quelque chose dont tu es fier ? Est-ce qu'il y a une façon de procéder, une formule, pour arriver à ce résultat ?
J'ai bien peur que d'autres ont critiqué cette uniformité et l'ont attribuée à un manque de créativité de ma part, prétextant que je suis coincé dans une ornière depuis laquelle je fais la même musique encore et toujours... Moi j'aime penser que c'est juste mon style, qu'il y a un certain son et des éléments de compositions qui m'intéressent, et que j'aime explorer en profondeur ce que la niche dans laquelle je suis a à offrir. Je ne pense pas que toutes les possibilités ont déjà été explorées, alors je continue, un peu comme Tangerine Dream l'a fait sur un nombre incalculable d'albums, ou comme n'importe quel artiste qui a un style fort. Je ne vois pas de raison de changer de style pour paraître plus créatif, ce serait n'importe quoi.

Tu as également enregistré sous une pléthore de projets parallèles : Dominion, Fossil Man, Parade of Sinners et j'en oublie certainement. Qu'en est-il de ces entités ?
Je les ai créées en partie pour garder Data-Bank-A dans un certain registre. Quand je fais quelque chose qui ne sonne pas comme Data-Bank-A, je lui donne simplement un autre nom. Ces projets ont émergé lors d'explorations en studio, lorsque je construisais les morceaux. Par exemple, Fuel Rod est 100% guitares, avec mon style caractéristique de boîte à rythme et de chant dessus. Mais il ne sonne pas comme du Data-Bank-A, il lui a donc fallu un autre nom. C'est aussi ce qui s'est passé avec Dominion et les autres projets. D’ordinaire, ils ne durent pas longtemps puisque personne ne les plébiscite. Ce sont tous des échecs et ils sont morts. Aujourd'hui il ne reste plus que Data-Bank-A en activité.

L'an prochain Data-Bank-A aura quarante ans. As-tu prévu quelque chose de spécial pour commémorer cet Anniversaire spécial ?
Je n’y ai pas vraiment réfléchi, mais ça me rend horriblement vieux, non ? C’est peut-être le bon moment pour arrêter. Pour moi il n’y a pas lieu de le fêter. Qui sait, peut-être que je vais tenter d’atteindre les cinquante ans de carrière au sein de Data-Bank-A : ça c’est un compte rond. Je n’aime pas mesurer ma vie en années, mais plutôt en terme d’accomplissements, si tant est que j’en ai jamais eus. En attendant, je suis toujours ravi de communiquer avec des gens comme toi, qui s’intéressent à mon humble travail. Je lève mon verre à ta santé !