Trentemøller

Interview réalisée par Yannick Blay

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« Fixion »

[In My Room]

Sorti le 16 septembre 2016

Le Danois Anders Trentemøller, DJ, compositeur, et producteur de renom, est une des personnes les plus agréables à interviewer qu’il soit. Ni la fatigue des tournées ni, pour cette fois, celle causée par le jet-lag n'ont la moindre conséquence sur sa délicatesse. Anders arrive en effet de New York lorsque je le retrouve pour cet entretien et il est, comme toujours, naturellement humble et d’une gentillesse rare dans ce milieu. Son très léger bégaiement le rend encore plus attachant et la discussion autour de son superbe nouvel album intitulé "Fixion", cold wave en diable et bénéficiant de nombreuses invitées vocales, n’en a que plus d’attrait…

Il semble que tu partages ton temps entre New York et Copenhague, en ce moment… Et c'est à Paris que je te retrouve pour cette interview !
Oui. Ma compagne (Lisbet Fritze des regrettés Giana Factory. Elle tournait avec Trentemøller en tant que guitariste jusqu’à il y a peu, mais se consacre aujourd’hui à son autre métier. Ce qui ne l’empêche pas de participer aux disques d’Anders -ndlr) est architecte et vit aujourd’hui à New York. Elle ne joue plus dans le groupe.

Enfin, sur scène, tu veux dire. C’est hors de prix New York, non ?
Elle vit à Williamsburgh, Brooklyn, c'est effectivement très cher, mais moins tout de même qu’à Soho ou East Village qui sont des quartiers vraiment hors de prix, en effet.

Tu joues à Paris 17 septembre, le lendemain de la sortie du disque…
Exactement. Ce sera un peu stressant, mais on est impatients. J’adore Paris. On y a un rapport particulier avec le public, il me semble… Cette fois-ci on commence par des petites salles, mais on reviendra en février pour jouer dans de plus grandes. La dernière fois, on a joué au Trianon, je crois. Là, ce sera à la Maroquinerie et ce sera la première date de la tournée.

Malheureusement, vous jouez le même soir que Soft Moon …
Oui, dommage.

« Mon désir a toujours été de me produire en concert et le laptop devient vite ennuyeux. »
 

La première fois que je vous ai vus, il y a 5 ans je crois, j’ai été surpris de découvrir que Trentemøller est un vrai groupe sur scène, cohésif et soudé. Pourtant, tu as commencé en tant que producteur techno et tu as toujours produit tes albums tout seul…
Oui, cela fait longtemps que je fonctionne comme cela. Les gens qui me connaissent depuis mes débuts m’ont connu faisant une musique beaucoup plus électronique. Mais pour moi, c’est une évolution naturelle, surtout pour le live. Les éléments électroniques sont toujours là, mais il est important de les jouer sur scène. Mon désir a toujours été de me produire en concert et le laptop devient vite ennuyeux. Tout s’est donc développé petit à petit jusqu’à ce que ça devienne un véritable groupe. C’est quelque chose qui m’est venu assez lentement et assez naturellement. Il faut dire que j’ai joué longtemps dans des groupes underground à Copenhague, plutôt Britpop, voire blues, avant de faire de la musique électronique. Je jouais de l’orgue Hammond, surtout. Mais, comme tu l’as dit, quand je suis en studio, je fais tout moi-même. C’est un processus très solitaire pour moi de faire un disque. Mais quand celui-ci est terminé, j’essaie de transformer toutes ces chansons afin qu’elles puissent être jouées en concert par un véritable groupe. Ce n’est pas toujours facile, mais avec ce nouvel album, c’était plutôt cool. C’est parce que j’ai voulu faire un disque assez épuré. Avec l’électronique, tu as tellement de possibilités que tu en fais parfois un peu trop. Tu as parfois envie de superposer diverses couches de guitares ou de synthés. Là, j’ai voulu un truc plus minimaliste en me concentrant plus sur l’écriture des chansons proprement dites.

« Cette scène m’a vite emmerdé, car je retrouvais toujours les mêmes sons chez les autres artistes de Berlin ou autres. »
 
Tu as un peu l’évolution d’un Arnaud Rebotini chez nous… Tu es passé de la musique club au rock, en quelque sorte…
Oui, cette scène m’a vite emmerdé, car je retrouvais toujours les mêmes sons chez les autres artistes de Berlin ou autres.

Travailler sur un album minimaliste est plus rapide ou c’est finalement tout autant de travail ?
C’est autant de boulot, car il s’agit surtout d’enlever des choses qui te paraissent inutiles et cela peut prendre du temps. Et quelque soit le but, c’est toujours un voyage relativement long. Avant le résultat final, il me faut choisir entre plusieurs versions différentes, avant d’être satisfait par mon travail. Par exemple une chanson comme "We Define" comprenait à l'origine beaucoup plus de couches de guitares ou plus de cuivres. Et comme il y avait déjà deux mélodies vocales sur lesquelles le morceau se concentrait, avec la même voix, mais pitchée différemment, il m’est apparu que le mélange guitares et synthés était un peu trop confus, trop shoegaze. J’ai donc enlevé plein de pistes. Mais du coup, il manquait aussi quelque chose et j’ai dû tout remixer en changeant le rythme et en trouvant de nouvelles idées de guitares et de synthés. Mais j’aime faire cela. Avec une même mélodie, tu peux prendre des chemins tout à fait opposés.

En revanche, le côté shoegaze a été conservé sur "Where the Shadows Fall"...
Exact. Bien qu’il n’y ait pas de sons de guitares traditionnels du shoegaze, mais il y a bien un côté fantomatique à ce morceau, avec plein de réverb. Je voulais que l’ensemble de cette chanson sonne flou. C’est ma copine qui chante dessus, c’est le dernier morceau que j’ai composé pour l’album, et je le voulais à la fin du disque. Je ne pensais pas mettre de chant, à l’origine. Mais il m’est apparu une mélodie vocale que j’ai eu envie d’ajouter au morceau. Et Lisbet qui était à côté de moi m’a proposé de chanter dessus, alors qu’elle est plutôt guitariste à la base. J’ai enregistré sa voix sur 8 pistes différentes, ce qui donne ce côté un peu irréel et spectral. C’était une chanson assez facile à réaliser.

Et c’est celle qui clôt le disque…
Je pense toujours en termes d’album, c’est sans doute un peu vieux jeu, mais bon… "November" et "Spinning", assez down tempo, se rapprochent un peu de "Where the Shadows Fall". Mais j’avais besoin d’un truc encore plus ambient, d’une certaine manière, pour terminer le disque.

« J’ai grandi avec Cure, Joy Division, Bauhaus ou plus tard Slowdive... Si ma musique me paraît différente, bizarrement, ce sont des groupes qui m’inspirent encore. Voire plus que jamais, car je l’admets de plus en plus volontiers aujourd’hui.  »
 
C’est certainement le titre le plus proche de tes premiers disques, plus électroniques, qui avaient beaucoup de passages assez ambient…
On me demande parfois si j’ai arrêté la musique électronique, mais non… C’est juste une autre approche.

C’est une approche de la musique électronique plutôt 80’s en fait…
Carrément ! Il faut dire que j’ai grandi avec cette musique. Cure, Joy Division, Bauhaus ou plus tard Slowdive... Si ma musique me paraît différente, bizarrement, ce sont des groupes qui m’inspirent encore. Voire plus que jamais, car je l’admets de plus en plus volontiers aujourd’hui. Par le passé, j’étais beaucoup plus réticent concernant l’aveu de ces influences… En tout cas, j’écoute encore ces disques aujourd'hui.

Tu réécoutes des disques particuliers en composant, afin d’identifier quel type de son tu cherches pour un morceau ?
Non, je n’écoute pas de musique quand je compose. Lorsque j’ai 5 ou 6 morceaux, je vois où doit aller l’album et je continue en ce sens. Certains des morceaux sur mon nouvel album ont été inspirés par les premiers Cure mais…

Et cela est évident dès le tout début du disque. On pense tout de suite à Joy "Shadowplay" et Cure période "Faith" / "Pornography" et c’est peut-être le léger bémol que l’on pourrait avoir face à cet album… Cela peut paraître, à première écoute, un peu facile…
Oui, mais bizarrement, ce n’était pas voulu à la base. C’est en réécoutant mes démos que je m’en suis rendu compte. Je me suis demandé si c’était trop proche, puis je me suis dit que c’était également mon son. Je me suis forgé grâce à eux. Mais je ne voulais pas faire un disque rétro qui sonne juste 80’s, c’est pourquoi il va aussi dans d’autres directions.

« La voix de Jehnny rappelle celle de Siouxsie. Les Banshees sont aussi une de mes influences. Mais ma musique est plus électronique. »
 
"River In Me", la chanson la plus enjouée de l’album, rappelle aussi "Close To Me" de The Cure…
Oui, tout à fait. Le rythme, également…

Et on pense aux titres les plus joyeux des Banshees…
Oui. Il faut dire que la voix de Jehnny (Jehnny Beth de Savages chante sur deux superbes titres -ndlr) rappelle celle de Siouxsie. Les Banshees sont aussi une de mes influences. Mais ma musique est plus électronique. "River In Me" est la chanson la plus optimiste que j’ai jamais écrite, une vraie pop song de 3 minutes. C’est pourquoi elle est jouée à la radio.

Quand tu écris une chanson, tu penses déjà à une chanteuse en particulier ?
Oui. Quand la rythmique était écrite avec la ligne de basse, je pensais déjà à Jehnny pour "River In Me". Je lui ai envoyé une démo vraiment grossière et elle a aimé. Elle était d’accord pour venir enregistrer sa voix dans mon studio à Copenhague. Elle est restée deux jours et on a bossé non-stop pendant 24 heures sur les deux chansons qu’elle chante. C’était bien intense. Elle a écrit les paroles à partir de quelques mots que j’avais couché sur papier qui ne voulaient pas dire grand-chose. Et elle a insufflé une certaine énergie à la chanson. C’est la première fois que je bossais avec une chanteuse face à face. D’habitude, c’était en échangeant des fichiers via Internet.

Tu vas la jouer sur scène ?
Oui. C’est Marie Fisker qui va la chanter. Elle chante tous les morceaux sur scène, en fait. Mais c’est marrant à quel point la voix de Marie est proche de celle de Jehnny. Elle n’a donc eu aucune difficulté à répéter les deux chansons chantées par Jehnny. Mais "River In Me" n’est pas un morceau facile en live. On a dû changer le rythme, la programmation de la boîte à rythme est différente. Cela permet au batteur de jouer par-dessus. De toute façon, j’aime bien le fait que les morceaux changent en concert. Je les ai tellement écoutés pendant la phase d’enregistrement (rires) ! Parfois, les versions sont même meilleures que sur le disque ! Mais cela peut s’avérer être vraiment difficile d’adapter une chanson pour le live. Pour ce disque, c’était beaucoup plus facile…

Tu peux éprouver l'envie de réenregistrer l’album à la fin de la tournée, non ? Beaucoup de groupes ressentent cela…
Carrément ! Lors de la dernière tournée, près de 100 concerts en un an, on a enregistré le premier concert et le dernier. Certaines chansons étaient devenues vraiment différentes des versions du début. Du coup, je me dis que cela aurait été mieux de tourner avant d’enregistrer le disque, car plein de nouvelles idées apparaissent pour le meilleur. Jehnny m’a dit qu’elle avait joué ses nouveaux morceaux de Savages en tournée aux USA avant de les enregistrer en studio. Dans les années 50 ou 60, des groupes comme les Beatles devaient jouer leurs morceaux live de nombreuses fois avant d’enregistrer, car ils n’avaient ensuite que peu de temps en studio. J’aimerais bien faire la tournée de quelques clubs afin de rôder les morceaux avant de les coucher sur bandes. Mais en même temps, j’aime le fait d’être tout seul à enregistrer mes chansons en studio, alors (rires)…

Combien serez-vous sur scène ?
On sera 5. Comme je te l’ai dit, Lisbet ne peut plus jouer avec nous. Mais on a un bassiste, très important pour jouer le nouvel album, un guitariste, un batteur et moi aux claviers. Et Marie au chant et un peu aux guitare. En fait, c’est le même groupe que la dernière fois, excepté le bassiste.

Vous jouerez tous les titres de l’album en concert ?
Non. Mais on en joue 8, quand même. Plus une sélection des précédents albums. Ce sera environ une heure et demie de show. Je ne sais pas encore l’ordre des chansons. Cela évoluera certainement, de toute façon…

La basse est en effet primordiale sur ton disque…
Oui ! Et ce n’était pas prémédité. J’ai réalisé en écoutant mes démos que la basse était une base solide pour mes morceaux et que j’aurai besoin d’un bassiste pour les concerts.

Qui chante sur "Never Fade" ?
C’est moi ! C’est la première fois que je me décide à chanter. Mais c’est à travers des pédales d’effets pour guitares, ça me permet de chanter moins faux (rires). Je la chanterai en concert.

Tu avais la mélodie vocale dès le début ?
Oui ! Elle est très simple. Au début, je la faisais au synthé, mais j’ai pensé que ce morceau avait besoin d’espace, afin qu’il ne sonne pas trop ambient. Alors, je me suis essayé au chant en studio. Des mots sont apparus : "never fade, never die", aussi simple que ça (rires). Je crée un monde artificiel avec l’aide de divers outils…

La drogue peut-être un outil pour créer ce monde artificiel ? Le fait d’écrire "Fixion" de cette façon évoque le fait de fuir la réalité en se faisant un fix ?
Non ! Je n’avais pas pensé à cela du tout (rire). C’est toujours dur pour moi de trouver un titre, à la fois représentatif, mais qui n’en dise pas trop. "Fixion" évoque le fait de créer ton propre monde en manipulant la réalité et c’est ce que je fais avec la musique. La pochette, bien sûr, est en rapport avec le titre. C’est un tableau d’Andres Eminius qui mélange réalité et manipulation via Photoshop. Cela rendra beaucoup mieux en format vinyle.

C’est Eminius qui réalise également tes clips…
Oui. Et on bosse ensemble sur les visuels pour les live en ce moment. On travaille surtout sur les gros concerts, avec quelque chose de très mobile. On pourra donc se servir de quelques idées pour les plus petites salles. L’important est que le visuel ne prenne pas le pas sur la musique.

Tu as des instruments que tu ne pourras pas amener avec toi en tournée pour des raisons de logistique ?
Oh oui ! Je collectionne les vieux synthés analogiques, mais il m’est impossible de les amener en tournée. Ils sont trop lourds et souvent instables sur le plan technique. En live, j’ai des moogs et des synthés avec plein de sons vintage et de cordes, car il y en a beaucoup sur le nouvel album. Ce ne sont pas exactement les mêmes sons que sur le disque, mais sur scène, on ne fera pas la différence.

Tu aimerais travailler sur une B.O. d’un film ?
Je l’ai déjà fait il y a 6 ans pour un film danois. On a bossé ensemble en amont avec le metteur en scène, avant le tournage du film et c’est l’idéal, je pense. Ma musique est assez cinématique, donc l’idée me plait bien…

Elle l’est moins aujourd’hui…
Oui, mais je me demande si le prochain disque ne sera pas instrumental. Ce serait plus proche de ce que je fais maintenant, mais sans le chant.

Et tu te verrais un jour faire un album en groupe, du stade de la composition jusqu’à l’enregistrement ?
Je préfère œuvrer tout seul. J’ai joué dans plusieurs groupes auparavant, mais il y a trop de compromis.