Fews

Interview réalisée par Yannick Blay

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« Into Red »

[PIAS]

Sortie le 1 mars 2019

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Prémonition était aux aguets afin de rencontrer Fews, groupe d’angliches exilés en Suède qui ont fait de magnifiques premières parties l’an passé pour les Pixies. En promo à Paris pour leur deuxième album, « Into Red », nous avons rencontré Fred, le chanteur créateur du groupe accompagné de Jay, bassiste aux cheveux longs. Deux semaines avant le concert parisien, David, le guitariste co-fondateur, n’avait pas encore annoncé sa décision de quitter le groupe à la fin de la tournée. Leur concert La Boule Noire était donc la dernière chance française de voir cette excellente formation mêlant krautrock et post-punk shoegaze au grand complet !

Jamais évident de jouer avant un groupe tel que les Pixies, dans une grande salle telle que le Zénith, mais vous avez réussi à faire un set bien intense.
Fred : Ca a toujours été un peu effrayant pour nous de jouer avant les Pixies. Et on est effectivement plus habitués à des petites salles qui sentent la sueur.
Jay (qui nous rejoint) : J’étais aller chercher un peu de sucre.

Du sucre ? De la poudre, tu veux dire ?
Ah ah, non. Du Coca et une barre chocolatée (rires). Mais on n’est pas contre un peu de cocaïne si t’en as (rires).

Même en interview ?
Fred : Non, ce serait affreux (rires).

Je serais sûr que vous seriez bavards, en tout cas (rires). Mais un titre comme « Paradiso » peut faire penser à la cocaïne, justement, non ? Surtout quand on, voit le clip, on pense à la défonce, en tout cas…
Oui, mais en fait, il y a deux chansons sur l’album qui parlent surtout de ma relation avec mon père et « Paradiso » est une de ces deux-là. Elle ne parle pas vraiment de défonce, mais plutôt de cette relation filiale qui, elle, est bien déchirée, complètement fucked up.

« On en apprend d’ailleurs beaucoup plus sur ce disque quand on en parle avec les gens et qu’ils nous disent ce qu’ils en pensent. On en apprend beaucoup sur nous. Cela met l’éclairage sur des choses que l’on n’avait pas forcément vues ou que l’on n’avait jamais trop envisagées avant. »
Le titre est plutôt ironique, alors ?
En fait, cette chanson a été écrite alors qu’on avait un jour de libre à Amsterdam. Et on devait jouer le lendemain au Paradiso (fameuse salle de concert à Amsterdam -ndlr).
Jay : On a alors essayé de jouer ce nouveau titre ce soir-là. On a décidé de donner le nom de la salle à notre chanson, du coup. On peut dire que c’est assez ironique, oui. De toute façon, il y a beaucoup d’ironie sur cet album. La musique va souvent dans le contresens des paroles. On en apprend d’ailleurs beaucoup plus sur ce disque quand on en parle avec les gens et qu’ils nous disent ce qu’ils en pensent. On en apprend beaucoup sur nous. Cela met l’éclairage sur des choses que l’on n’avait pas forcément vues ou que l’on n’avait jamais trop envisagées avant.

Pareil pour toi, Fred ?
Fred : Bah, j’ai mes propres interprétations des chansons, puisque je les ai écrites. Mais l’interprétation des gens est souvent intéressante et finalement toute aussi vraie. De toute façon, tu ne peux pas deviner par exemple que « Paradiso » parle de mon père. Et c’est super que chacun interprète une chanson à sa façon et se l’approprie, même si cette interprétation est assez éloignée de l’idée de base.

« Into The Red », le titre de l’album, reflète bien les tonalités et couleurs de l’album. Pourquoi ce titre ?
Oui. La vision de David, le guitariste, pour ce disque était d’être dans le rouge, sur le plan de la vitesse, d’être à fond.

Et vous êtes aussi dans le rouge quand vous enregistrez ? Vous aimez le son très fort et saturé ?
Oui, aussi. Il faut que ce soit super intense. Mais Jay a une autre vision.
Jay : Oui. Moi, je le vois plutôt comme l’idée d’être à court de carburant. Ou à court d’argent, on te signifie alors que tu es dans le rouge. Ce qui est bien avec ce titre, c’est que tu peux le comprendre de différentes manières, mais toujours avec l’idée de quelque chose d’assez extrême ou de dingue, que l’on parle de vitesse, de manque d’argent, de colère ou de quoique ce soit d’autre.

Et sinon, vous êtes un peu rouges, dans le sens communiste du terme (rires) ? Je pense à un titre du précédent album, « If Things are Going on Like This » et ou encore à « Businessman » sur « Into The Red »…
Intéressant. Il est clair que l’avenir, notamment sur le plan environnemental, nous fait un peu flipper. Encore une autre interprétation du « red » à laquelle on n’avait pas pensé.

« Businessman » a un petit côté ironique, j’imagine…
Fred : C’est le seul morceau qui n’est pas très personnel. Cela parle juste de quelqu’un qui a des horaires de bureau, qui bosse 5 jours sur 7, de 9h à 17h, le genre de chose que je me sens incapable de faire.

Oui, c’est tout le contraire du rock. Pourtant, quelqu’un comme Nick Cave m’a dit une fois que pour composer, il devait aller au bureau, c’est à dire son studio, pour pianoter et écrire des paroles de 9h à 17h chaque jour…
Jay : Pourquoi pas. Ce qu’on déteste surtout, c’est l’idée de bosser pour une banque ou des putains de corporations. Le personnage, dans le refrain, pète un plomb et dit qu’il va entrer en guerre, il devient rouge de colère (rires).

Le monde ultralibéral dans lequel nous vivons est de plus en plus effrayant… En France, notamment, j’ai très peur du lendemain…
Fred : J’imagine. En Angleterre, c’est pas mieux. Je vis en Suède, aujourd’hui. Mais même là-bas, il y a certaines décisions politiques qui puent. On sent bien que c’est dur à Paris, en ce moment. En Europe, également.
Jay : Dans le monde entier, en fait (rires).
Fred : Grave ! En Grèce, en Espagne, aux États-Unis, où que tu ailles, ça craint.

Au moins, ça nourrit votre musique constituée d’éléments shoegaze, krautrock, postpunk voire pop ! Je pense au troisième titre, qui ne me plaisait pas trop au début, car trop pop et presque incongru sur le disque et que j’aime beaucoup maintenant…
Oui, je suis d’accord avec ce que tu dis. Et on a bien un côté krautrock. On aime rester sur une idée, un rythme, un son, bloquer dessus. On adore la répétition, le côté transe.

« Je ne sais toujours pas quoi dire aux gens qui me demandent quel genre de musique on fait. Même quand tu dis un mélange de krautrock, shoegaze et postpunk, il y a des gens qui ne comprennent rien à ce que tu dis. »
« Limits » a une ligne de synthés assez obsessionnelle…
C’est presque du krautrock, mais pas vraiment. Si tu enlèves, la batterie ou le rythme, c’est autre chose…
Jay : Je ne sais toujours pas quoi dire aux gens qui me demandent quel genre de musique on fait. Même quand tu dis un mélange de krautrock, shoegaze et postpunk, il y a des gens qui ne comprennent rien à ce que tu dis. À la limite, ils comprennent indie rock… Et quand tu parlais de « More Than Ever » qui était trop pop, c’est ce qu’on s’est dit également au début. Puis cette chanson a grandi en nous et on n’a pu y échapper. C’est le titre qui mêle le plus les différents genres que tu as évoqués.
Fred : Oui, c’est bien qu’il soit sur le disque. Les gens écoutent de moins en moins un album en entier. Ils ont besoin de se raccrocher à un titre ou deux. Mais je pense que notre disque est bon de bout en bout, notamment du fait de sa variété. « Into Red » aurait été monotone si l’on n’avait fait que des titres du style de « Paradiso », je pense… Mais tout cela a fait l’objet de beaucoup de discussions au sein du groupe.
Jay : Et on a en effet pas mal discuté de la présence ou pas de « More Than Ever » sur le disque.
Fred : Nous aussi au début elle nous paraissait trop pop par rapport aux autres chansons.

Vous pouvez jouer tous les titres du nouvel album sur scène ?
Beaucoup, en tout cas.
Jay : Il n’y a que « Suppose » et « Quiet » qu’on ne joue pas.
Fred : « Quiet » est très difficile à jouer car les guitares prennent 5 ou 6 pistes. On ne lui rendrait pas justice si on la jouait à 4.
Jay : Si on nous permet d’amener des musiciens en plus sur scène, on pourra la jouer (rires).
Fred : Au moins une guitare baryton et… un DJ ? (rires)

Vous jouez toujours « Ill » et « Zoo » du précédent album, j’imagine ?
Oui. « Zoo », et surtout « Ill », auraient pu figurer sur ce disque, je pense. Mais avec ce nouveau disque, on a l’impression d’avoir tout plein de nouveaux morceaux du niveau et de l’intensité de ces deux titres que tu cites.

« Paradiso », « More Than Ever », « Limits », « Business Man », « Anything Else » sont tous des singles potentiels…
On a sorti « Business Man » en single, mais ce ne sont pas des chansons appelées à devenir des hits. « More Than Ever », notre dernier single, est sans doute le titre le plus vendeur… Mais le public découvrant le groupe par ce titre pourrait être déçu par le disque (rires). Surtout après « Means », notre premier album. Mais c’est le titre qui plait le plus pour l’instant et il peut aussi amener des gens différents à s’intéresser à nous. Peut-être que cela deviendra un hit dans 25 ans, comme avec Dinosaur Jr qui voient un de leurs vieux titres devenir à la mode au Japon, en ce moment (le titre « Over Your Shoulder » -ndlr).

Ils avaient fait une bonne cover de The Cure, « Just Like Heaven »…
Jay : Ah oui ? Je ne suis pas forcément très porté sur les reprises. Les Pixies avaient fait une bonne reprise de The Jesus & Mary Chain. Nous, on en a fait une, aussi, qui est parue sur Spotify en 2017. C’est « Metal » de Gary Numan, un titre que Fred adore. Et on se régale à la jouer sur scène.
Fred : On accentue le côté kraut.

Vous vivez tous les quatre en Suède, aujourd’hui. Du coup, il est plus facile pour vous de répéter ensemble et de fonctionner comme un groupe, contrairement à l’époque du premier album…
Tout à fait. Le premier, c’était surtout David et moi. On s’échangeait des démos via Internet. Mais depuis 2015, on a beaucoup joué ensemble sur scène.
Jay : Quand j’ai rejoint le groupe, on a fait quelque chose comme 150 concerts en un an ! On répétait genre deux jours en Suède ou en Angleterre où je vivais à l’époque, et on partait en tournée. Maintenant, c’est plus simple. Le studio de Malmö dans lequel nous avons enregistré « Into Red » est devenu notre studio de répètes grâce à notre producteur, Joakim Lindberg. Et on y vit. On se sent donc comme un vrai groupe, aujourd’hui.

Pourquoi lui, qui n’avait produit auparavant que des groupes locaux ?
Lindberg vit également à Malmö, comme nous. On a d’abord bossé sur la reprise dont de Gary Numan, « Metal » ensemble et on a adoré son boulot. On a donc fini par retravailler ensemble pour ce nouvel album enregistré en un mois.

Vous avez dû pas mal discuter et bosser ensemble pour avoir ce son particulier, à la fois très shoegaze, mais pas trop abrasif. On est loin des feedbacks de The Jesus & Mary Chain, par exemple… Que vous a-t-il apporté, exactement ?
Fred : Lindberg est un fan de My Bloody Valentine et un très bon musicien. Il était donc très efficace, précis et rapide pour ce type de son.

Pour « Quiet », par exemple, c’est lui qui vous a conseillé plusieurs pistes pour la guitare ?
Non, c’était notre idée, mais il nous a bien aidés ! Il a parfaitement compris notre son et ce qu’on voulait.

Les chansons évoluent beaucoup au studio, en post-production, ou bienvous essayez d’avoir le plus possible un son live ?
Jay : Elles ont pas mal évolué en studio, je pense.

Vous auriez des exemples précis ? Peut-être la chanson dont le résultat final vous a le plus surpris ?
Fred : « Quiet », sans doute. Il ne devait pas y avoir autant de chant, à la base. Elle a un côté un peu barré. Je me souviens que j’étais malade lorsque j’enregistrais le chant. En revenant des toilettes, Lindberg me fait écouter ce qu’il a fait entre temps et j’étais sur le cul. Je pense que le format vinyle rend plus justice à ce titre, du reste.
Jay : Sinon, la structure de « Businessman » a pas mal changé en studio. On a également changé le pitch, en suivant l’avis du producteur. Je ne pense pas que l’on y aurait pensé de nous-mêmes.
Fred : Ça fout un peu le bordel dans la chanson, mais c’est ce qui la rend si particulière, je pense…

Vous faites beaucoup de concerts en Suède ?
Non. Je ne pense pas qu’on nous aime beaucoup là-bas, je ne sais pas pourquoi (rire). On manque clairement de fans, là-bas. On est mieux lotis au Royaume-Uni ou en Hollande…
Jay : En Suède, la majeure partie des gens écoute du R’n’B et du Hip Hop.

Et un peu de black métal, quand même (rires) !
Fred : D’après certaines statistiques de notre label, on nous écoute pas mal en Finlande. On a donc peut-être de l’avenir en Scandinavie finalement (rires).

Quand commence la tournée ?
Le 16 mars 2019. On commence par la Hollande dans une super salle de Groningue nommée Vera. Tout y est parfait : son, lumière, techniciens. Tu es bien logé. Ils te font de super posters pour la promo.
Jay : Le proprio, assez âgé, a ouvert cette salle, il y a plus de 40 ans. Des groupes tels que Nirvana y sont passés. L’endroit et l’accueil qui y est réservé sont juste incroyables !
Fred : Le gars est pote avec Steve Albini ! Il y joue une fois par an ou presque !
Jay : Le mec a plein d’anecdotes de ouf. Il te raconte que Kurt Cobain a demandé Courtney Love en mariage au téléphone et qu’il a été témoin de la scène. Le Vera n’est pas juste un lieu où tu montes sur scène et tu te tires, c’est bien plus que ça…

Il y a de chouettes festivals en Hollande, aussi…
Oui ! On a joué une fois au Welcome To The Village, c’était super ! Il faisait terriblement chaud et le public l’était tout autant. La scène était au bord d’un lac ! Et l’accueil était juste fantastique. Le genre d’hospitalité que tu ne trouves malheureusement nulle part ailleurs (rires)…

Oh, il y a bien quelques endroits en France qui t’accueillent avec un bon cassoulet des familles plutôt qu’avec un taboulé moisi (rires)…
C’est vrai. Et c’est toujours très apprécié après de longs trajets en van.