Daniel B.

Interview réalisée par Bertrand Hamonou

Nothing But Noise

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Prothese

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Daniel B. Prothèse

« CHZWaaR+ZMe+aaL »

[Alfa Matrix]

Sorti le 16 février 2018

Membre discret mais essentiel de Front 242, Daniel B. est devenu il y a trois ans un artiste hyperactif, publiant des disques passionnants et innovants en compagnie de Dirk Bergen avec NothingButNoise ou en solo avec Prothèse (Daniel B. Prothèse), et ce avec un acharnement et une régularité qui forcent le respect. Musicien du son, il abonde de nouvelles idées et de nouveaux projets dont nous vous parlerons au fur et à mesure de leur sortie dans les mois qui viennent. À quelques jours de son départ pour les USA avec Front 242 pour une tournée qui débutera le 12 avril, Daniel fait le point sur la pléthore de disques essentiels qu’il a sortis ces derniers mois, et nous donne même des pistes sur ce qu’il faut attendre en 2018.

Daniel, la quantité de musique que tu as produite sous les noms Daniel B. Prothèse, NothingButNoise ou encore Daniel B. Prothèse vs Edwin Vanvinckenroye ces trois dernières années est proprement hallucinante. À quoi est due cette soudaine explosion d'enregistrements ? Tu composes tous les jours ?
Peut-être pas tous les jours, mais presque ! Parfois ce ne sont que des idées qui me viennent lorsque je travaille sur une machine ou sur une autre. J'utilise par exemple assez souvent l'Elektron A4 pour certaines de mes idées, ou alors il m'arrive d'élaborer dans Cubase jusqu'à avoir un brouillon qui me permettra plus tard de me rappeler ce que je voulais faire, où je voulais aller. Mais une innombrable quantité de ces idées passe fréquemment à la poubelle, car je n’ai pas été suffisamment précis dans mon travail ni dans mes notes. Il m'arrive surtout d'oublier de référencer les bons sons qui me permettraient de retrouver l'ambiance qui me plaisait lors de du premier jet.

NothingButNoise a une approche plus ambient que Prothèse, quoique ce n'est pas toujours si tranché. Comment fais-tu pour décider de quel titre sera pour tel projet plutôt qu'un autre ?
C'est une question de feeling personnel et je reconnais que ce n'est sans doute pas évident à discerner pour d'autres que moi. Parfois, il y a peu de différences entre les deux projets, et c'est vrai que lorsque tu prends les morceaux un par un c'est plutôt limite pour ce qui est de faire la distinction. En fait, je choisis très souvent de placer tel ou tel morceau en fonction de la place qu'il tiendra dans le projet dans sa totalité : je joue sur les contrastes proposés parmi un ensemble de titres, et ce sont ces contrastes qui donneront ainsi corps au projet final.
« J'ai sous-estimé la demande qu'il y avait pour les CDs de NothingButNoise. Ce ne sont pas de gros pressages, mais je les ai facilement sous-estimés de moitié. »
Pour "CHZWaaR+ZMe+aaL", le dernier album de Prothèse, tu as enregistré un nombre impressionnant de titres et de versions pour permettre à ce projet de sortir en cassette, LP, double CD, avec des tracklistings différents à chaque fois. C'est un véritable jeu de piste ! C'était voulu dès le départ ce triple format ?
Oui, complètement, comme ça l'était aussi pour "Überlastung", le précédent projet de Prothèse. Mais je viens de me rendre compte que cette démarche artistique est complètement incomprise et dépréciée par la distribution. L'auditeur ne comprendra complètement le message que lorsqu'on lui fournira les bonnes clés, mais pour cela il faut que les gens entre lui et moi le comprennent également et le retransmettent clairement tel qu'il devrait l'être. À l'avenir, je vais tenir compte de ce paramètre. C'est aussi un peu ce qui s'est passé quand j'ai sous-estimé la demande qu'il y avait pour les CDs de NothingButNoise. Ce ne sont pas de gros pressages, mais je les ai facilement sous-estimés de moitié.

On retrouve aussi ce jeu de piste avec les formats physiques proposés pour NothingButNoise comme les cartes USB, les multiples sorties cassettes ultra limitées et les trois CD "Existence Oscillation". Je me pose la même question, est-ce venu au fil du temps ou bien vous aviez tout planifié avec Dirk dès le départ ?
Cela a évolué avec le temps, et au fur et à mesure c'est devenu un projet. Avec Dirk nous devions aussi découvrir les points positifs et négatifs des différents formats et formules. Pour la trilogie "Existence Oscillation", c'était bien le plan initial, même lorsque seuls les deux premiers volets étaient achevés et que le troisième n'existait encore que sous sa forme limitée d'idées vagues.
« Edwin n'a pas une voix de grand méchant loup, donc cela nous coupe aussi d'une partie du public EBM pur et dur. »
Peux-tu nous parler de l'album "99.9" que tu as réalisé en compagnie de Edwin Vanvinckenroye ? Je crois me souvenir qu'en 2004 tu avais produit l'album de Troissoeur dont il était membre avec deux de ses frères.
Le travail avec Edwin date d'il y a quelques années déjà. Au départ, je n’arrivais pas à visualiser d'enveloppe finale pour ce projet que j’avais fini par mettre de côté. Puis en rediscutant avec Edwin, avec le recul et après avoir pu sortir quelques disques de NothingNutNoise et de Prothèse, nous avons convenu d'essayer d'aller dans une nouvelle direction, qui était au final plutôt dans la veine de ce que je fais avec Prothèse en ce qui concerne le son. Et cela a plutôt bien marché, de notre avis à tous les deux. Le projet n'est pas simple, car difficile à caser musicalement : rien que le fait d'utiliser du violon nous coupe automatiquement des fans qui nous suivent depuis longtemps. C'est vraiment bizarre. De plus Edwin n'a pas une voix de grand méchant loup, donc cela nous coupe aussi d'une partie du public EBM pur et dur. Ceci étant, travailler avec Edwin a été un superbe challenge au niveau musical, ainsi que dans l'approche de la production du disque. C'est typiquement un album que nous avons réalisé pour le plaisir, sans suivre aucune règle rock and roll ni autre.
« Je crois que ma façon d'envisager les batteries est encore et toujours fortement influencée par le Krautrock et les premiers Magma. D’ailleurs Christian Vander reste mon batteur préféré avec Bill Bruford de King Crimson. »
"Fearfall », le premier titre de cet album m'a particulièrement impressionné ; je trouve que la partie rythmique est fantastique. C'est d’ailleurs une constante dans tes disques quel que soit le projet : il y a des parties rythmiques extraordinaires, comme sur les titres des trois "Existence Oscillation". Tu as d'abord ces longues plages ambient et d'un coup ça monte en puissance, de manière presque martiale. C'est toi qui les joues ?
En ce qui me concerne, les batteries sont mon plus gros mélange créatif : en général j'ai l'idée de base, et c'est là que surviennent les accidents qui sont toujours les bienvenus. Je les crée principalement à partir d'un mélange de choses jouées et triturées auxquelles je rajoute des éléments qui ne sont qu'une addition de multiples parties sur une partition, ou parfois juste des loops dont je ne garde que des extraits pour créer l'ambiance. Le plus souvent, j'enregistre les parties de batteries après les avoir jouées en midi afin d'en faire plusieurs versions audio différentes que je découpe ensuite et que j'ajuste enfin pour obtenir un ensemble plus dynamique. Très souvent ces batteries représentent la majeure partie du travail d'une composition. Il m'arrive aussi régulièrement de changer à la dernière minute le son des parties que j'ai jouées, genre deux jours avant de finaliser le master, car je n'arrive pas à les faire vivre ni à leur donner la place que je pense qu'elles méritent. Je crois que ma façon d'envisager les batteries est encore et toujours fortement influencée par le Krautrock et les premiers Magma. D’ailleurs Christian Vander reste mon batteur préféré avec Bill Bruford de King Crimson.

Il y a un autre point commun à toutes tes sorties, tous projets confondus, indépendamment de la musique elle-même, et il s'agit de l'orthographe des titres : des caractères remplacent des lettres, la casse semble n'en faire qu'à sa tête. C'est un jeu que tu as doucement commencé sur "Pulse" et "Still & Raw" de Front 242, non ? Et qui a muté en quelque chose qui nous dépasse depuis. Tu nous expliques ?
C'est assez simple en fait : j'aime beaucoup quand les titres ont aussi un aspect graphique. C'est ce que Dirk appelle "un choix Daniel B" qui se résume à ceci : pourquoi faire simple quand on n'y est pas obligé ? De plus, j'aime bien le mélange des langues et des caractères, c'est un jeu qui permet également de toucher les gens différemment puisqu'ils seront charmés par l'utilisation de leur langue. Je sais que j'en abuse en créant des jeux de mots qui ne fonctionnent que dans certaines langues, même si c'est moi qui les ai inventés. Prends "CHZWaaR+ZMe+aaL" par exemple, qui une fois traduit de façon simple en français donnerait "Metal Lourd Noir", ou alors "Heavy Black Metal" en anglais. Reconnais que ni l'un ni l'autre ne sont aussi inspirants que "CHZWaaR+ZMe+aaL".
« Les festivals EBM et assimilés ne sont pas l'endroit idéal pour un concert de NothingNutNoise. »
Il y a peu de concerts de NothingButNoise : ceux que vous donnez sont des dates isolées plutôt qu'une véritable tournée. Quelles sont les raisons à cela ?
Premièrement, on ne cherche pas de façon active à faire des concerts ni des tournées, et il faut reconnaitre que de toute façon personne ne semble vraiment intéressé. Même si notre dernier concert a bien fonctionné, on a tout de même reçu des remarques quant à l'endroit, la date, l'heure... Et deuxièmement, il faut voir les conditions et les événements qui nous sont proposés : les festivals EBM et assimilés ne sont pas l'endroit idéal pour un concert de NothingNutNoise.  Pour le reste, je crois qu'on n'est vraiment pas connu par les promoteurs en France ni ailleurs, ou alors, lorsque c'est le cas, on nous propose des plans foireux du genre où l'on devrait payer pour jouer ! Ceci dit, maintenant que le premier concert de Prothèse a eu lieu et que j'ai eu la bonne surprise de recevoir des réactions extrêmement positives, je compte m'investir un peu plus activement dans la recherche des concerts à donner. J’en profite pour préciser que Dirk participe également aux concerts de Prothèse.

Est-ce que tu peux nous dire ce que tu nous réserves pour les prochains mois ? Des projets sont-ils déjà prêts ?
Absolument. Il y a tout d'abord un nouveau projet vraiment noise avec guitares et tout, dont deux titres sont prêts : "30.30.333" et "31.31.333" qui sont en fait la longueur en minutes, secondes et millisecondes de chacun d'entre eux. Cela sortira tout d'abord en cassette limitée, chez Wool-E comme d'habitude, et un peu plus tard en digicard et download. Et puis, il y a également un double album de Daniel B. Prothèse qui est prêt, plutôt dans le style Kraut electro, et qui est constitué de deux CDs : le premier s'intitule "HölleKtroKraut"  et le second "HEllectroKraut". Pour ceux qui ne le sauraient pas, "Hölle" signifie enfer en allemand, et je ne pense pas qu'il soit nécessaire de traduire "Hell". Pour finir, plus tard cette l'année je pense sortir un CD plus heavy electro dans la même veine que "CHZWaaR+ZMe+aaL", et dont j'ai déjà joué plusieurs compos en live. Et je réfléchis aussi à un nouveau projet beaucoup plus ambient.

Est-ce que tes projets Male or Female et Speed Tribe avec Patrick Codenys sont définitivement terminés ?
En principe, c'est terminé, oui, mais nous sommes est en train d'essayer de développer ensemble un concept DJ + live qui serait un mélange de morceaux d'autres groupes avec des compositions originales de Prothèse, tout en y incorporant des manipulations en live. Nous allons faire un essai au Boiler Room de Berlin en juin.

Je suis obligé de terminer par une question sur l'avenir discographique de Front 242 : même si le groupe tourne énormément, il n'y a pas eu de nouveau disque depuis "Pulse" en 2004. Un disque est-il à espérer ?
Alors ici je vais te la faire très courte : la réponse est non.