Colder

Interview réalisée par Christophe Labussière

Photos D.R.

J'ai connu Marc avant Colder. Le jeune homme (nous étions déjà jeunes à cette époque) faisait de la musique. D'abord seul. Puis avec des amis communs. Un jour, tout s'est enchaîné. Marc publie son premier album. "Heat". Étonnant. Il y invente le son qu’aurait pu avoir le label Factory à ses premières heures, avant que le label n’existe. L'esthétique de Colder s'affiche alors comme une uchronie incroyable. Pourtant, Marc rejette cette référence au label mancunien, les siennes sont ailleurs, plus industrielles, plus dark, il cite en effet sans hésiter Boyd Rice de Non, Coil, Virgin Prunes ou Bauhaus. Peu importe, le disque est une véritable curiosité temporelle. Pas seulement pour moi, à ce moment-là, la reconnaissance est immédiate et internationale. Une claque. Deux ans plus tard sort "Again". Deux albums. Un sans faute. On est alors en 2005.

Puis, dix ans de hiatus. Jusqu'à aujourd'hui où Marc sort enfin de son silence. Nous découvrons son troisième disque, "Many Colours", le même jour que "Music Complete" de New Order. Il n'y a pas de coïncidence, même s'il rejette toujours la référence.

Tu as sorti deux albums, à deux ans d'intervalle. Le second il y a dix ans. Tu n'as pas enchainé le troisième dans la foulée, tu as volontairement décidé de faire un stop ?
Il y a eu un "troisième album" qui existe sous forme de démo et qui aurait dû être enregistré en studio avec les membres du groupe avec lesquels je tournais à l'époque. Mais la fermeture de mon label à l'époque -Output- a entrainé un transfert de mon contrat vers une entité musicale avec laquelle je n'ai pas pu m'entendre. Rompre ce contrat et me dégager des engagements qui me liaient à ces gens m'a pris presque deux ans et a empêché la finalisation de ce projet. Ce troisième album devrait cependant sortir l'an prochain sous forme d'un EP "bootleg".

À quel moment as-tu commencé à te dire "Il faut que je m'y remette ? Est-ce qu'à un moment tu as douté, tu t'es dit qu'il n'y aurait pas de troisième album ?
En fait je n'ai jamais arrêté… j'enregistre depuis que j'ai 15 ans, j'ai toujours eu un studio -même primitif-  à la maison depuis cet âge, et je joue et j'enregistre sur une base quotidienne. Après la rupture de mon contrat, je me suis dirigé vers d'autres musiques, vers des choses moins écrites, ce qui m'a permis de travailler ou de pousser certains angles comme l'improvisation. Puis il y a deux/trois ans, Patrice Baumel, un DJ/producteur allemand proche de Kompakt, m'a contacté pour des featuring voix. Le projet est resté inachevé -pour le moment- mais entre-temps Patrice est devenu un ami et a travaillé sur la direction artistique visuelle de "Many Colours". Les différents essais que nous avons faits ensemble m'ont donné envie de revenir à des formats plus accessibles, plus "pop", ce que représente "Many Colours" pour moi en quelque sorte.

En dix ans, la musique, électronique ou pas, a évolué, la tienne ne semble ne pas avoir pris une ride. Est-ce parce que ce que tu fais est hors du temps ?
Merci pour le compliment sur l'intemporalité des morceaux… je pense que c'est une question un peu subjective. Tout ce que je peux te dire à ce sujet, c'est que j'ai toujours essayé d'approcher un album comme un tout et non comme une compilation de titres. D'autre part, je vois mon travail musical plus comme une proposition (artistique) que comme une "oeuvre", ce qui est également assez libérateur et me permet d'avancer plus rapidement sur un projet sans me poser trop de questions superflues.

Qu'est-ce qui a changé avec ce troisième album par rapport aux deux précédents ?
Il y a des changements, en prod, en écriture également, mais le point commun avec mes albums précédents, et surtout avec "Again", concernerait plus le processus général de travail. Avant de commencer son enregistrement, j'avais d'un côté un ensemble de textes, de l'autre, des instruments et sonorités avec lesquels j'avais joué pendant les semaines précédentes. L'enregistrement a consisté à "mélanger" ces deux sources pour pouvoir travailler très rapidement, et donc de maintenir la cohérence de l'ensemble, sa spontanéité, son authenticité également.

Je ne connaissais pas Owlle qui chante avec toi sur un morceau. Pourquoi l'avoir invitée ?
La manageuse de Owlle travaillait dans les studios où j'ai mixé "Many Colours", c'est ainsi que j'ai découvert son travail. Je trouve que France a une voix formidable qui lui permet d'amener une dimension tragique à des compositions qui au premier abord pourraient paraitre plus légères, comme "Ticky Ticky" par exemple.

Et tu n'as pas souhaité aller plus loin avec elle ?
Nous n'avons pas pu aborder plus de morceaux principalement pour des raisons de temps et de planning mais je suis déjà très heureux qu'elle ait pu collaborer à un de mes titres. D'autre part, "Many Colours" a été pensé comme un album solo, et changer ce paramètre aurait changé la nature du disque, du projet. Ce travail en solitaire nourrit un certain sentiment d'isolement diffus qui joue une part très importante dans l'univers sonore de l'album.

Tu n'as pas eu envie de travailler avec d'autres personnes ?
Mais je n'ai rien contre les collaborations … Avant "Many Colours" j'ai enregistré un autre album avec un camarade de longue date, producteur électronique, que j'aimerais sortir l'an prochain. Il est également question pour 2016 d'une collaboration avec le DJ danois Kasper Bjorke, et avec le producteur allemand Daniel Holc, alias Ascii Disko, pour son nouveau projet "The Left Hand Path".

Les mots n'ont plus vraiment de sens, mais il faut en empiler le plus possible. Mieux vaut donc oublier tout cela et s'en remettre à l'intelligence de l'auditeur, lui laisser se faire sa propre opinion sur le sujet, qu'elle soit bonne ou mauvaise.

Tu es sûr de toi quand tu commences à travailler sur Colder, il y a sûrement des compositions que tu écartes parce qu'elles ne sont "pas assez Colder" ?
Comme je te l'ai dit, je démarre l'enregistrement et la composition seulement quand j'ai des sons et des textes, et si possible, un lien narratif assez vague qui peut me permettre d'articuler un album. En général quand je suis cette ligne, cette direction, je peux travailler très vite tout en restant super concentré sur ce que j'ai en tête à un niveau créatif.

Il ne t'arrive jamais de douter ?
À qui n'arrive-t'il jamais de douter ?!

J'ai lu que tu "aurais pu être précurseur de la coldwave et de la darkwave", c'est dire que tu as réussi à inventer quelque chose qui en fait existait déjà ? Est-ce qu'avec le temps tu ne trouves pas ça réducteur, voir vexant, que l'on ramène toujours ta musique à ces deux "étiquettes" ?
Je pense que tout cela à plus à voir avec le jeu de la promotion… magazine, blogs, réseaux sociaux, il y a un impératif à dire quelque chose, faire part de son commentaire, grossir les traits et dire n'importe quoi. Les mots n'ont plus vraiment de sens, mais il faut en empiler le plus possible. Mieux vaut donc oublier tout cela et s'en remettre à l'intelligence de l'auditeur, lui laisser se faire sa propre opinion sur le sujet, qu'elle soit bonne ou mauvaise.

Le gros évènement de la rentrée outre la sortie de ton album est celui de New Order, tu l'as écouté ?
Je n'ai jamais été fan de New Order, voilà, c'est dit !

Est-ce qu'en quelque sorte Colder ne serait pas au début de tout, et New Order à la fin de tout (!) ?
Je suis tout aussi peu sensible à leur dernier album qu'au premier, donc pas forcément la meilleure personne pour en parler...

Ta musique est faite d'ambiances, et génère sans arrêt des images, comme la BO d'un film expérimental extrêmement sombre. Est-ce que tes études de cinéma ont quelque chose à voir avec ça, dans la façon dont tu construis tes compositions ?
Pour moi, il y a un parallélisme évident entre musique et image, qui existe de son écriture à son écoute. Il y a également une écoute consciente et une écoute inconsciente avec laquelle on peut jouer, à travers des associations de mots, de sons, qui au premier abord peuvent sembler anodins, mais qui jouent à des niveaux plus profonds. Une image, un lieu en silence peuvent suggérer un son, et de la même manière, une note, un bruit, va suggérer une image, un souvenir ou une impression ou même une couleur. J'essaie toujours d'inclure cette approche d'une narration sonore abstraite dans Colder et de la mélanger avec une écriture plus pop et plus accessible.

Il y a une chance de te voir sur scène en France ?
C'est à confirmer, mais oui, en fin d'année, début d'année prochaine probablement…