Bovaflux

Interview réalisée par Christophe Labussière

Photos D.R.

Eddie Simons est un garçon étonnant. Artiste talentueux et complexé, créateur d'electronica et codeur de jeux vidéos. S'il veille à ne jamais confondre ses deux passions, il prend autant de plaisir à parler de l'une et de l'autre, aussi essentielles pour lui que l'air qu'il respire.

Eddie offre avec son dernier album, "Hermetic Peaks", une electronica toute en nuance, extrêmement mélodique et dramatiquement humaine. Un véritable OVNI sur une scène déjà riche et complexe.

Tu as tes propres labels Struktur and [d]-tached, et tu as publié des disques sur le label Highpoint Lowlife. Tu n'as jamais essayé de te faire signer sur le label Warp ?
Lorsque j'ai commencé à composer, j'ai envoyé des démos à Warp mais je n'ai jamais eu de chance avec eux... L'un de mes plus vieux albums a été décrit dans une chronique comme "peut-être l'une des productions qui sonne le plus comme du Warp, jamais publiée par Warp". Il y a donc bien quelque chose dans ma musique qui a des réminiscence avec le son du label.

Tu as toujours travaillé seul sur Bovaflux ?
Oui. J'ai tenté de collaborations avec d'autres musiciens, mais ça n'a jamais vraiment marché. Je me sens trop complexé pour essayer d'écrire de la musique avec quelqu'un d'autre, d'autant que la moitié du travail de création consiste à faire un peu n'importe quoi avec des bruits et des sons, pour réussir à sortir à un moment quelque chose intéressant, alors qu'en travaillant avec d'autres personnes, tu dois impérativement produire des choses incroyables, sinon les autres vont vite croire que tu es une merde. Ma méthode est de m'isoler pendant des heures, pour sortir enfin du studio avec un titre à peu près terminé, et cacher tout ce qui s'est passé avant à qui que ce soit d'autre !

Tu es progammeur de jeux vidéo. Rassure-moi, tu aimais les jeux vidéo avant de faire ce métier ?
Je pense. Mais je pense surtout que je voulais comprendre de quelle façon pouvaient être faits les jeux auxquels je jouais. J'ai commencé à programmer lorsque j'avais 10 ou 11 ans, et j'avais commencé à y jouer deux ans avant.

Quel type de jeux aimes-tu ? Mario, GTA, des jeux plus expérimentaux comme Rez ou Eden, des choses plus actuelles comme toutes ces perles indies qui foisonnent sur iPhone ?
À vrai dire j'ai des goûts plutôt varié. J'ai effectivement plutôt tendance à être attiré par le côté "indie" du domaine, les jeux réalisés par des petites équipe. Mais ce n'est pas non plus une règle absolue. En ce moment je joue plutôt sur des consoles portables comme la 3DS ou la PS Vita en me rendant au boulot, ce qui me permet de jouer à peu près une heure chaque jour. Mes jeux favoris en ce moment ce seraient Box Boy, The Swapper, Brothers, des choses comme ça. Tout ce qui est dans le moule "Metroidvania" m'intéresse. Mais je suis aussi fan de Nintendo.

Quel est le jeu auquel tu as le plus joué ?
Peut-être "Dark Souls"... Pour moi, c'est une sorte de "Castlevania" moderne. J'y ai énormément joué, sous toutes les formes. J'ai même repris le jeu une seconde fois. Mais je suis attiré par tous les nouveaux jeux, j'aime découvrir de nouvelles mécaniques, mais si je passe plus de 50h sur un seul jeu ça commence à devenir trop pour moi. Je dois parfois me forcer à arrêter de jouer, pour ne pas perdre trop de temps alors que je dois faire de la musique !

Et quel est le disque de musique électronique que tu as le plus écouté ?
Je n 'en ai aucune idée... Quand j'étais plus jeune et que j'avais moins d'argent, j'aurais pu écouter tous les disques que j'avais plus de 100 fois chacun, et maintenant je les écoute encore plus. Je dirais Aphex Twin, ou Squarepusher, j'ai écouté leurs premiers disques sans cesse lorsque j'étais à l'école et à l'université.

Quel est le jeu sur lequel tu as le plus travaillé ?
Le plus gros projet, en terme de durée et d'importance, a été "Elite Dangerous". J'ai travaillé sur ce jeu pendant deux ans, et nous avions prévu de travailler dessus encore plus longtemps.Le principe de départ est que tu as un petit vaisseau, quelques crédits, et tu dois explorer, combattre, et marchander à travers toute notre galaxie. Chaque étoile que tu peux voir la nuit dans le ciel était un endroit que tu pouvais visiter dans le jeu. Et chacune de ces étoiles était entourée de planètes, habitées, sur lesquelles tu pouvais te rendre avec ton vaisseau. L'échelle du jeu était tout bonnement incroyable. La série en est actuellement à son quatrième volet, je me souviens que je jouais au tout premier lorsque j'étais jeune, ça a été d'autant plus excitant et surréaliste pour moi de faire partie de la suite de ce jeu.

Et quel est le disque "non-électronique" que tu as le plus écouté ?
Soit Broken Social Scene "You Forgot it in People", soit Madvillain "Madvillainy".

Et quel est le jeu auquel tu as le plus joué sur ton iPhone et que tu nous conseillerais ?
Contractuellement je suis obligé de dire que mon jeu préféré est "Rollercoaster Tycoon 3", qui est le jeu que la boîte dans laquelle je travaille a récemment sorti ! Allez vérifier vous-mêmes ! Plus sérieusement, je ne joue plus trop aux jeux sur mobile, ce type de jeux gratuits mais dans lesquels tu dois tout acheter me rend un peu dingue. C'est d'ailleurs un système dans lequel "Rollercoaster Tyccon 3" ne veut pas rentrer. Et puis l'interface tactile... ça ne vaudra jamais une manette. J'ai essayé pas mal de programmes de synthés sur iPhone ou sur iPad, et bien que certains étaient vraiment très riches et offraient des possibilités incroyables (comme "Animoog"), j'ai toujours trouvé l'écran tactile très désagréable.

Tu ne sors pas de disques très souvent. Qu'est-ce qui t'animes quand tu commences à travailler sur un nouvel album ?
Je veux que chaque album de Bovaflux soit comme une nouvelle étape qui irait dans une direction différente par rapport à la précédente, qu'il manifeste à chaque fois une sorte de progression. Entre chaque disque, je continue à produire une grande quantité de musique, mais avant qu'il y ait à la fois un lien et une vraie différence avec ce que je faisais avant, je passe beaucoup de temps à chercher et à expérimenter. Avec "Hermetic Peaks", la chose principale qui l'a façonné, c'est que j'ai redécouvert l'électro, que j'avais toujours apprécié mais je n'étais jamais allé dans cette voie, et surtout le fait que je me sois réintéressé aux vrais synthés. D'une certaine manière, j'explorais une partie de mon passé que j'avais oublié. Ça correspond d'une certaine manière à ce que je fais avec mon boulot, alors que je me remémorais tous ces souvenirs jouant à Elite Force. Le titre "Coriolis" est d'ailleurs une référence directe aux "Starports" du jeu.

L'electronica est un domaine très complexe, il y a plusieurs styles, plutôt obédiences, plusieurs chapelles. Quelle est la tienne ?
Je ne m'impose consciement aucune règle, mais je pense qu'il y a certains thèmes essentiels qui resortent de mon travail. Ce qui est le plus important pour moi reste la mélodie. Je pense que c'est toujours ce qui revient dans mes musiques préférés, et je suppose que j'insiste sur cet aspect pour prouver que je suis vraiment un musicien, parce que je suis un autoditacte, et et que j'ai probablement une sorte de complexe d'infériorité ! J'ai des side-projects que je n'ai jamais publiés qui n'ont pas de mélodies, des choses sombres, bruyantes, des environnement sonores en évolutions, mais je n'ai jamais vraiment imaginé les sortir.

Tu n'as jamais essayé d'associer ta musique aux jeux vidéos auxquels tu travaillais ?
Je l'ai fait deux fois. J'ai travaillé sur un jeu de création musicale sur PlayStation, "Music 200", dans lequel j'ai un ou deux morceaux. Mais ce sont pas vraiment des morceaux que je pourrais véritablement associer à Bovaflux, c'était une sorte de drum'n'bass assez radicale. Il y a quelques années j'ai travaillé sur un jeu, "PowerUp Forever", dans lequel il y avait ma musique. C'est un jeu qui était basé sur un concept original que j'ai imaginé, et bien que j'ai quitté la compagnie alors que j'avais seulement travaillé sur le prototype, ils m'ont tout de même demandé de travailler sur la BO. Le thème principal du jeu était l'infini, je devais travailler sur la musique à deux niveaux, le premier concernait le rythme et les basses, et le second l'ambiance et les mélodies. Ces deux niveaux s'entremêlaient et ça pouvait générer une infinité de morceaux, chaque partie te proposait une musique unique. Il y avait de très bonnes idées dans ce jeu, bien qu'au final le gameplay ne s'accordait pas très bien avec les idées de départ.

Tu n'as jamais essayé d'associer les sons des jeux vidéos à ta musique comme le font les artistes du label Chiptune ?
Ça a pu m'arriver, mais j'essaye de ne pas le faire. J'ai toujours utilisé des "trackers" pour écrire la musique, depuis l'époque de l'Amiga, et ça donnait parfois l'impression aux gens que ma musique avait ces sonorités de jeux vidéos. Mais ça a été toujours à l'opposé de ce que j'ai toujours voulu faire. L'Amiga avait seulement 4 voies, seulement 512kb de mémoire, alors quand j'essayais de faire que ça sonne de façon "authentique", comme de la techno, de la jungle, c'était un vrai challenge ! Lorsque je disais aux gens que je travaillais de cette façon-là, ils rejetaient ce que je faisais, ils prétendaient que c'est du "chiptune", ce qui n'avaient pas du tout la même considération qu'aujourd'hui. Alors j'ai toujours fait attention à ne pas être associé à ça.

De quels autres artistes te sens-tu proche ? Je trouve tes productions assez étonnante, à mi-chemin entre le glitch et de l'électronica mélodique.
Je ne sais pas, je ne me sens pas entrer dans un de ces genres, c'est pour ça que mon label s'appelle [d]-tached La seule fois où je me suis sentis faire parti d'une scène c'est lorsque j'ai travaillé avec le label Highpoint Lowlife. À ce moment-là j'ai rencontré d'autres artistes, on a joué ensemble, ça a été une période vraiment très particulière pour moi.

J'ai lu que tu avais travaillé sur un show radio pour Future Music pendant un an. Tu peux m'en dire plus ?
J'avais toujours rêvé d'avoir une émission de radio régulière, pour aider à faire découvrir des musiques électroniques que je considère comme incroyables et dont on ne parle pas suffisamment. Alors, quand j'ai entendu que Future Music FM cherchait de nouveaux animateurs, j'ai envoyé quelques mixes que j'avais réalisé, et quelques semaines plus tard j'étais à la radio. Je prends soin de couvrir un large spectre de musiques, du footwork à l'ambiant, et tout ce qui existe entre, et j'invite de grands artistes comme Ocoeur, Pridon, etc. Cette émission m'a pris un temps fou, c'est devenu ma préoccupation principale, je n'avais plus de temps pour travailler sur ma propre musique. J'ai du mettre ça en stand-by pour pouvoir reprendre du temps pour moi. Tu peux trouver mes shows archivés sur MixCloud, ici. J'y ajoute de temps en temps de nouveaux mixes.

Tu es anglais, mais d'où es-tu originaire précisément ?
J'ai grandi dans une petite ville pas très excitante à côté de Leicester. J'ai pas mal bougé depuis, à différentes endroits dans les Midlands, deux ans à Liverpool, 3 à Frankfürt, et actuellement je suis installé à Cambridge.